vendredi 9 mai 2014

Cadeau aux banques

Après 30 milliards d’euros de cadeaux aux patrons
25 milliards d’euros de cadeaux aux banques

Patrick Saurin (Médiapart)
Le 7 mai 2014
En 2013, le gouvernement avait glissé dans le projet de loi de finances pour 2014 un article 60 (devenu article 92) particulièrement scandaleux qui prévoyait, en contrepartie de la mise en place d’un modeste fonds de soutien aux collectivités, une mesure de validation législative rétroactive de l’irrégularité des contrats de prêts tirée du défaut de stipulation du taux effectif global. Par cette disposition, l’État, porteur du risque des 8,5 milliards d’euros d’encours toxiques qu’il avait repris à DEXIA, essayait de se prémunir de façon déloyale et malhonnête contre la jurisprudence des tribunaux civils défavorable aux banques, quitte à en faire payer le prix aux contribuables. Nous avions déjà à l’époque exposé et dénoncé les vices de ce dispositif[2].
Heureusement, saisi par des députés et des sénateurs, le Conseil constitutionnel a annulé deux des trois paragraphes de l’article 92 dans une décision du 29 décembre 2013[3]. Le Conseil a rejeté la validation rétroactive des contrats dépourvus de taux effectif global (TEG) au motif que la validation rétroactive des contrats dépourvus de TEG « s’applique à toutes les personnes morales et à tous les contrats de prêts en tant que la validité de la stipulation d’intérêts serait contestée par le moyen tiré du défaut de mention du taux effectif global ; que, d’une part, ces critères ne sont pas en adéquation avec l’objectif poursuivi ; que, d’autre part, cette validation revêt une portée très large ; que, par suite, les dispositions contestées portent une atteinte injustifiée aux droits des personnes morales ayant souscrit un emprunt. » Le Conseil a également confirmé le remplacement du taux initial par le taux légal pour les contrats dépourvus de TEG en relevant que la loi aurait eu pour conséquence de modifier une sanction (la mise en place du taux légal en lieu et place du taux du contrat dépourvu de TEG) ; le conseil a considéré que de telles dispositions n’avaient rien à faire dans un projet de loi de finances. Seule, la création du fonds de soutien a été validée par le Conseil constitutionnel.
Aujourd’hui, chassé par la porte, le gouvernement revient par la fenêtre avec un projet de loi déposé le 23 avril dernier au Sénat[4] qui, à défaut de prévoir la validation rétroactive par la loi des contrats de prêts irréguliers, propose de le faire de manière conventionnelle « par tout écrit ». En clair, il est demandé aux collectivités de signer avec les banques un « pacte d’irresponsabilité » par lequel les collectivités s’engagent à exonérer les banques de leurs turpitudes. En contrepartie de quelques miettes hypothétiques octroyées par un fonds de soutien famélique, les personnes morales de droit public sont invitées par le gouvernement à prendre en charge l’essentiel des surcoûts provenant des emprunts toxiques et à renoncer à leur droit d’agir en justice. Le projet de loi est accompagné d’une étude d’impact particulièrement édifiante quant à l’ampleur du problème généré par les emprunts toxiques et à l’état d’esprit du pouvoir socialiste. Selon les rédacteurs de l’étude, le risque financier pour l’État est estimé à 17 milliards d’euros[5]. Précisons que ce montant ne concerne que les 8,5 milliards d’encours toxiques de Dexia repris par la SFIL[6] car aux 17 milliards d’euros, il faut ajouter le coût du risque provenant des encours toxiques des autres banques françaises et étrangères. Au final, le risque représenté par la totalité des emprunts toxiques dépasse probablement les 25 milliards d’euros[7], une somme à côté de laquelle le montant du fonds de soutien semble bien dérisoire[8]. En effet, ce fonds sera alimenté à hauteur de 100 millions d’euros par an pendant 15 ans maximum, ce qui représente au plus en tout et pour tout 1,5 milliard d’euros, soit 6 % du coût du risque. Par ailleurs, les banques ne contribueront que pour moitié au financement du fonds, soit au maximum 750 millions d’euros sur 15 ans, une somme représentant seulement 3 % du coût total estimé du risque qu’elles ont généré, les 97 % restants étant à la charge des contribuables locaux et nationaux. Une autre déficience de ce fonds tient à ce que l’aide qu’il est susceptible d’accorder est limitée à 45 % maximum du montant des indemnités de remboursement anticipé dues. Mais le plus important est que pour bénéficier de ce fonds, la collectivité a l’obligation de passer une transaction avec la banque et de renoncer ainsi à toute action en justice. C’est là le point le plus contestable de ce dispositif, puisqu’il revient à entériner la possibilité pour des contractants de s’affranchir des lois et des réglementations au seul motif qu’ils en auraient convenu. Si l’on donne aujourd’hui la possibilité aux banques de s’affranchir de leurs obligations en matière de TEG, pourquoi ne leur donnerait-on pas demain la possibilité de s’exonérer du taux d’usure face à des emprunteurs en situation de faiblesse. Et pourquoi cette pratique ne serait-elle pas étendue au monde du travail par une loi qui permettrait à des employeurs de valider rétroactivement le versement à leurs salariés d’une rémunération inférieure au SMIC, au motif que ces salariés, sous la pression d’un chantage à l’emploi, auraient accepté par convention d’entériner une telle pratique. En définitive, le projet de loi du gouvernement revient ni plus ni moins à reconnaître valables des conventions dont l’objet et la cause sont illicites, et ce en violation de l’article 6 du code civil qui prévoit qu’ « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs », et des articles 1108, 1128 et 1131 du même code relatifs à la licéité de l’objet et de la cause des contrats.
L’étude d’impact qui accompagne ce nouveau projet est proprement révoltante. En effet, le document propose un exemple destiné à chiffrer l’hypothétique manque à gagner d’une banque dont un emprunt de 10 millions d’euros sur 20 ans verrait son taux d’intérêt fixe de 3 % remplacé par le taux légal actuellement de 0,04 %. Les rédacteurs évaluent le préjudice pour la banque à 3,441 millions d’euros. Dans leur exemple, ils font état d’un différentiel d’intérêts entre deux taux fixes – or nous savons que la période risquée des emprunts toxiques est à taux révisable – mais surtout, ils se gardent bien de calculer le surcoût, bien réel celui-là, que doivent payer aujourd’hui les collectivités pour des emprunts dont le taux, indexé sur la parité de l’euro et du franc suisse, varie actuellement entre 9 % et 12 %. Dans l’hypothèse d’un taux de 12 %, le surcoût total pour la collectivité est de 13,332 millions d’euros par rapport à un taux fixe de 3 %, et de 16,733 millions d’euros par rapport au taux légal de 0,04 %. Le fait que l’étude d’impact n’ait pas évoqué ce cas de figure montre la partialité et la déloyauté du gouvernement entièrement acquis à la cause des banques.
Le nouveau projet de loi du gouvernement nous paraît tout aussi anticonstitutionnel que le précédent en ce qu’il contrevient aux droits de la défense et n’apporte pas la preuve de risques constituant des motifs d’intérêt général pouvant justifier le recours à des mesures de validation législative. En effet, la Conseil Constitutionnel considère que la seule considération d’un intérêt financier ne constitue pas un motif d’intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle à une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, d’autres à intervenir. Si, comme le soulignait le député Charles de Courson lors de la discussion des amendements de l’article 60, « le rôle du législateur n’est pas de blanchir des banques ayant commis une faute »[9], à plus forte raison le rôle du Conseil Constitutionnel ne doit pas être de donner un blanc-seing au législateur lorsqu’il méconnaît l’intérêt général dans le seul but d’exonérer les banques et de s’exonérer lui-même, sachant que la SFIL et la CAFFIL tireraient bénéfice du projet de loi.
L’entêtement des pouvoirs publics à exonérer les banques de leurs responsabilités et à faire supporter la charge des emprunts toxiques par les collectivités et les contribuables ne donne que plus de raison d’être et de légitimité à l’action citoyenne pour obliger les banques à supporter l’intégralité des surcoûts liés aux emprunts toxiques. Après avoir mené un premier travail d’audit de la dette locale et d’information auprès de la population, des citoyens réunis en collectifs se préparent à passer à une nouvelle étape consistant à attaquer les banques en justice dans le cadre d’une action rarement utilisée, connue sous le nom d’ « autorisation de plaider », qui permet à des citoyens d’agir en justice à la place d’élus défaillants[10]. La question de l’annulation de la dette illégale et illégitime est donc plus que jamais d’actualité aujourd’hui en France.

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