mardi 30 avril 2013

Cahuzac et le labo Innothera : un contrat coûteux pour la Sécu


Il y a quatre semaines déjà que Jérôme Cahuzac est passé aux aveux et qu’il a reconnu avoir touché en Suisse de l’argent des laboratoires pharmaceutiques. Mais depuis, pas un mot sur l’identité des entreprises de santé qui l’ont secrètement rémunéré au fil des années 1990. Encore moins sur les médicaments que le socialiste s’est chargé de promouvoir, aux dépens parfois de la Sécurité sociale.
Mediapart a toutefois retrouvé la trace d’un premier contrat, signé par Jérôme Cahuzac en septembre 1991 avec le laboratoire français Innothera, spécialiste de la santé des femmes. Un « deal » peu reluisant conclu à peine quatre mois après son départ du cabinet de Claude Évin (ministre de la santé sous Michel Rocard), où il était chargé du médicament et des négociations avec l’industrie médicale.
Jérôme Cahuzac à l'Assemblée, avant l'abandon de son mandatJérôme Cahuzac à l'Assemblée, avant l'abandon de son mandat© Reuters

D’après nos informations, ce contrat conclu pour un an prévoit alors une rémunération de 300 000 francs (45 800 euros), soit 25 000 francs par mois (3 800 euros). La mission de Jérôme Cahuzac ? Utiliser son entregent et son carnet d’adresses dans l’administration de la Santé pour sauver le médicament « star » d’Innothera, un élixir à base de fer prescrit comme « anti-fatigue » et baptisé Tot’hema. Alors qu’il est pris en charge par la Sécu à hauteur de 70 %, le ministère menace à l’époque de le dérembourser, jugeant ces dépenses injustifiées – une décision qui provoquerait l’effondrement des ventes. Fin 1991, la poule aux œufs d’or d’Innothera a donc la tête sur le billot.
« On sait que le déremboursement peut tomber d’un moment à l’autre, se souvient un ancien du labo. Mais on s’accroche : chaque mois supplémentaire gagné sur la Sécu, c’est des millions de francs encaissés. » Grâce à Jérôme Cahuzac, entre autres, le ministère ne passera à l’acte qu’en… juillet 1994.
Interrogé lundi 29 avril sur l’existence et la nature exacte de ce contrat, l’avocat de l’ancien ministre du budget, Me Jean Veil, n’a pas souhaité nous rappeler (« Mes réponses sont, comme il est d'usage, réservées aux questions des juges »).
Sollicité pour sa part dès le mois de décembre 2012, le patron et principal actionnaire d’Innothera, Arnaud Gobet, avait dans un premier temps affirmé à Mediapart : « Je n’ai jamais eu de contrat ou de mission avec Jérôme Cahuzac. » Au début des années 1990, l’intégralité du travail de « relations publiques » d’Innothera avait été confiée, nous disait-il, à un « ami » des labos, Daniel Vial, et sa société PR International. Contacté à nouveau le 26 avril, l’entreprise familiale a visiblement remis de l’ordre dans ses annales, puisqu’elle a retrouvé le contrat en question.
Entre-temps, le PDG s’est adjoint les services du communicant Christophe Reille, spécialiste de « l’intelligence médiatique et judiciaire », qui se charge de nous répondre. Selon lui, Arnaud Gobet n’est pas en mesure de préciser si le contrat de 300 000 francs « effectivement signé par les deux parties a été exécuté ou non, dans cette forme-là », les pièces comptables de l’époque n’existant plus. Mais il confirme que Jérôme Cahuzac a bien travaillé au service d’Innothera pour assurer « l’interface » avec le ministère de la santé, en particulier sur le dossier du Tot’hema.
« L’objet de la mission confiée à Jérôme Cahuzac était de délivrer conseils et avis sur la stratégie réglementaire du laboratoire, déclare Christophe Reille. À cette période, le Tot’hema était le plus ciblé par l’administration. » Si de l’argent a bien été versé, ajoute le communicant, il l’a forcément été en France. Les archives comptables manquent, cependant, pour en faire la démonstration…
Le recyclage de Jérôme Cahuzac dans le privé, après sa sortie du cabinet de Claude Évin en mai 1991, aura en tout cas été ultra rapide, et bien antérieur au lancement officiel de sa société de consulting, « Cahuzac conseil », immatriculée en octobre 1993. « Je n’ai pas été le seul, vous savez, a glissé l’ancien ministre du budget le 16 avril sur BFM TV, lors de son interview confession. Et la chose est parfaitement légale. » À l’époque, les règles limitant le « pantouflage » des fonctionnaires et collaborateurs de cabinets ministériels étaient bien plus lâches qu’aujourd’hui, puisque la Commission de déontologie chargée de rendre un avis sur ce type de reconversions express n’a été créée qu’en 1995.
Mais l’attitude de Jérôme Cahuzac choque a posteriori Olivier Fouquet, président de cette instance de 2007 à 2012 : « Il est clair que la Commission de déontologie, si elle avait dû s’exprimer sur son cas, aurait rendu un avis défavorable, explique ce conseiller d’État à Mediapart. On est devant un conflit d’intérêts évident, puisque Jérôme Cahuzac s’est occupé au cabinet Évin des autorisations de mise sur le marché des médicaments, de leurs prix, etc., et qu’il est aussitôt passé de l’autre côté de la barrière. » Le fait qu’il n’ait respecté aucune période de latence alimente aujourd’hui le soupçon : n’aurait-il pas préparé sa « réorientation » alors même qu’il travaillait encore au cabinet, en accordant des faveurs à tel ou tel labo ?

Aubaine

Sur le Tot’hema, en l’occurrence, il y a de quoi s’interroger. Car à la fin des années 1980, les ventes de ce produit poussiéreux déjà commercialisé en 1950 (« une soupe démodée » selon un ancien cadre du labo) étaient tombées à zéro en France : Innothera l’exportait surtout en Afrique, où il faisait un tabac comme remède à la langueur sexuelle, avec un taureau sur l’emballage.
Sauf qu’un arrêté ministériel de février 1991, signé de Claude Evin et sans doute préparé par Jérôme Cahuzac, lui offre soudain une seconde vie : alors que le cabinet dérembourse ce jour-là l’ensemble des antiasthéniques ou « antifatigue » (141 produits brutalement radiés de la Sécu), quatre d’entre eux échappent au couperet et voient leur déremboursement repoussé à 1992. Parmi ces « miraculés », le Tot’hema, parce qu’il est également prescrit dans certains cas d’anémie (ou carences en fer).
Une vieille publicité pour le Tot'hemaUne vieille publicité pour le Tot'hema© DR
Pour Innothera, cet arrêté ministériel est une aubaine. Les consommateurs d’antiasthéniques, privés de leurs cachets habituels, vont se reporter massivement sur le Tot’hema, encore remboursé aux deux tiers. Encouragés par les visiteurs médicaux d’Innothera, les médecins distribuent le Tot’hema à tour de bras en détournant la prescription : alors que les cas d’anémie (seule indication théoriquement remboursable) sont rares en France, Innothera peut ainsi engranger 70 à 80 millions de francs de chiffre d’affaires par an sur son produit phare.
D. VialD. Vial© DR
L’administration, qui comprend rapidement « l’astuce », juge que la renaissance du Tot’hema coûte bien trop cher à la Sécu. La mission alors confiée à Jérôme Cahuzac (sorti du cabinet Évin) et Daniel Vial (avec sa société PR International) est limpide : repousser au maximum le déremboursement. Le second voit même sa rémunération en partie indexée sur les ventes (bien qu'il précise « ne plus s'en souvenir aujourd'hui ») ! La formule du Tot’hema est ajustée pour tenter d’accentuer son caractère antianémique et le lobbying se met en branle, avec une troublante efficacité.
En juin 1992, le ministère de la santé prolonge le remboursement du produit pour six mois. Puis rebelote en septembre 1992. Puis entre les deux tours des élections législatives de 1993, grâce à un arrêté des ministres Kouchner et Teulade. Il faut attendre juillet 1994, soit deux ans et demi après la date initialement prévue, pour que le Tot’hema soit enfin radié de la liste des produits remboursables, par un arrêté cinglant qui pointe une « consommation injustifiée, entraînant des dépenses injustifiées pour les systèmes de protection sociale ».
L'ancien yacht d'A. GobetL'ancien yacht d'A. Gobet© DR
À quelle date exactement Jérôme Cahuzac a-t-il cessé de défendre les intérêts d’Innothera ? À ce stade, difficile de savoir. Mais en septembre 1994 (ou était-ce 1995 ?), le socialiste profitait gratuitement du yacht d’Arnaud Gobet, un vieux gréement de légende de 37 mètres, pour quelques jours de croisière en Méditerranée.   
Entre-temps, le Tot’hema aura vécu un épisode peu glorieux : à l’été 1992, en pleine épidémie d’ESB (encéphalite spongiforme bovine), les pouvoirs publics ont interdit par précaution les médicaments à base de tissus bovins. Sans broncher, Innothera a donc revu la composition de son Tot’hema (qui comprenait des extraits de foie), mais le laboratoire a écoulé des stocks de vieilles boîtes en Afrique pendant plusieurs mois.

dimanche 28 avril 2013

Pourquoi les bourses mondiales montent-elles alors que l’économie réelle est à terre ?


PHILIPPE MURER*

Richard Drew/AP/SIPA
Richard Drew/AP/SIPA
Alors que l’économie mondiale s’enfonce dans une crise de la demande de plus en plus forte, les bourses s’envolent. 
Bien que les journaux en parlent peu, la croissance dans les grands pays émergents est de plus en plus faible : 
. Croissance d’à peine 1% au Brésil 
. Croissance de 3% mais en fort ralentissement en Russie 
. Croissance de 4,5% en Inde contre 8% dans les années 2000 
. Croissance de 2% en Corée du Sud, de 1% à Taïwan et nulle à Hong Kong 
. Croissance réelle autour de 5% en Chine si l’on extrapole la croissance de la consommation de matières premières par la Chine (les chiffres ne sont plus cohérents et même Goldman Sachs et UBS s’en étonnent dans cet article). 
Si certains des lecteurs peuvent rêver d’une telle croissance en France, n’oublions pas que ces pays ont un grand retard économique à rattraper. 
L’Europe est en moyenne en récession de 1% . 
Les Etats-Unis sont le seul pays qui continue à avoir une croissance en adéquation relative avec son potentiel autour de 2% sur l’année écoulée. Mais ceci est dû à une spécificité américaine : le crédit à la consommation. En effet, le salaire moyen n’augmente pas ou très peu comme on le voit sur ce graphique : à peine 0,3% chaque année (chiffre du bureau pour l’emploi américain BLS). 

Pourquoi les bourses mondiales montent-elles alors que l’économie réelle est à terre ?
Mais le crédit à la consommation a une toute autre dynamique ! A l’exception de la crise de 2008, sa hausse génère directement 1% de croissance par an (sans compter les effets indirects) 

Pourquoi les bourses mondiales montent-elles alors que l’économie réelle est à terre ?
Grâce au crédit, les américains génèrent donc un peu de croissance économique malgré la faiblesse des salaires. On rappelle ici la règle économique de base qu’on a un peu tendance à oublier : sans hausse des salaires, pas de croissance économique viable ! N’est-ce pas Messieurs les économistes « il faut baisser les coûts du travail » 
Evidemment, cette hausse du crédiot a l’inconvénient de faire baisser le taux d’épargne à des niveaux proches de 0 comme en 2007-2008 mais cela compense la faible hausse des salaires. 
On peut ainsi représenter le changement des rythmes de croissance de l’économie mondiale ainsi 

Pourquoi les bourses mondiales montent-elles alors que l’économie réelle est à terre ?

Une autre preuve de cette faiblesse de la croissance mondiale est la faiblesse des cours des matières premières. 

Graphique de l’indice CRB des matières premières 

Pourquoi les bourses mondiales montent-elles alors que l’économie réelle est à terre ?
Et pourtant elles montent ! 
Malgré cette faiblesse de l’économie mondiale, les marchés d’actions s’envolent aux USA et grimpent en Europe ou la récession fait rage. 
Le découplage est de plus en plus important entre l’économie réelle et « l’économie virtuelle ». La cause en est simple : 
. l’austérité règne dans l’économie réelle ; les hausses d’impôts, les coupes dans les budgets et la faiblesse de la hausse des salaires la saigne. 
. l’enthousiasme règne dans l’économie virtuelle grâce à la hausse des résultats (faibles coûts salariaux !) mais surtout grâce aux immenses quantités d’argent déversées par les Banques Centrales dans les Marchés Financiers :  1000 Milliards prêtées aux banques européennes à un taux dérisoire sur 3 ans, plus de 1000 Milliards de Dollars d’actifs achetés chaque année dans les marchés financiers par la Banque Centrale américaine et plus de 500 Milliards de Dollars d’actifs achetés chaque année par la Banque Centrale japonaise. Il est même fort possible qu’une nouvelle bulle des bourses soit en train de gonfler.  
Prendre aux pauvres tout en donnant aux riches : le système tourne sur la tête ! 
C’est pour cela que nous devons inventer un autre système, remettre l’Etat au centre du jeu économique en lui redonnant la main sur la Banque Centrale pour que la création de Monnaie serve à financer des projets dans l’économie réelle, des projets utiles, rentables (transition vers les énergies renouvelables, ferroutage, voitures électriques ou à hydrogène …) qui irrigue toute l’économie et non déverser de façon stupide des tombereaux d’argent sur les Marchés Financiers, alimentant ainsi la hausse des plus grandes fortunes. Nous l’avons fait dans les années 45-80 avec le programme nucléaire, le programme de canalisations d’eau potable et d’eaux usées et le programme d’installations de lignes téléphoniques pour tous. Il faut recommencer avec les infrastructures de l’avenir en prenant en compte les contraintes de respect de l’environnement et de finitude des ressources naturelles (transition énergétique, recyclage, écoconception…).  

vendredi 26 avril 2013

Affaire Karachi : premiers aveux


FRÉDÉRIC PLOQUIN
En cherchant l’argent des ventes d’armes au Pakistan, les enquêteurs sont tombés sur des liasses d’espèces qui pourraient provenir d’autres contrats passés à l’époque où Edouard Balladur était premier ministre. Avec de premiers aveux qui pourraient en amener d’autres. Nouvelles révélations à lire dans Marianne à paraître samedi.

Edouard Balladur å l'Assemblée - MEIGNEUX/FACELLY/SIPA
Edouard Balladur å l'Assemblée - MEIGNEUX/FACELLY/SIPA
Si Edouard Balladur, François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres avaient su... 

L’ancien premier ministre, candidat malheureux à l’Elysée, son ancien ministre de la Défense et celui qui fut son bras droit à l’heure des grands contrats d’armement commencent à comprendre ce que leurs ennuis avec la justice doivent à l’erreur de Serge Hauchart, qui, pensant bien faire, avait poussé le Parti républicain, sur lequel compte s’appuyer Balladur pour sa conquête du pouvoir, à ouvrir un compte dans une coopérative financière de droit italien, le Fondo Sociale di Cooperazione Europea. 

Un organisme dont le siège était à Milan, mais qui disposait d’un bureau à Paris, d’abord avenue Hoche, puis rue du Faubourg Saint-Honoré, sur lequel les responsables du Parti républicain avaient jeté leur dévolu faute de pouvoir solliciter une banque française, par l’entremise de Jacques Bournazel, ami de Léotard.     
  
Le patron du Fondo, à l’époque s’appelle Ahmed Chaker. Homme d’affaires franco-marocain, il a racheté cet organisme en 1992 sur le conseil de Guy Genesseaux, adjoint au maire de Paris tendance Raymond Barre et pilier de la Grande loge nationale de France. Genesseaux (aujourd’hui décédé) qui promet de jouer de son influence pour transformer la société en banque, le jour venu, mais qui en attendant s’installe à la présidence de l’établissement. 

Chaker est mis sur la touche quatre ans plus tard, mais Genesseaux ne perd rien pour attendre, puisqu’il doit céder sa place à Hauchart en mars 1997. Pas pour longtemps, puisque Chaker fomente un putsch, reprend les rennes et installe une nouvelle équipe prête à collaborer avec la brigade financière. 

La vengeance couve, alimentée par les services de renseignement de plusieurs pays arabes qui lèvent le voile sur les contrats d’armement avec l’Arabie Saoudite... 
  
Près de 15 ans plus tard, c’est ce fil que tirent les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, en charge du volet financier lié à  l’attentat de Karachi.      
  
Entendu par un enquêteur de la Division nationale d’investigations financières et fiscales, le 20 septembre dernier, l’ancien fondé de pouvoir du Fondo, Olivier Mevel, se met le premier à table. 

« Un jour, déclare-t-il, Hauchart prend la parole et nous explique que le PR (parti républicain) cherche un prêt mais qu’ils ont aussi de l’argent à placer. 

Il nous explique qu’il a 40 millions de francs en liquide à placer et que cette somme viendrait de l’époque de Raymond Barre. 

M. Genesseaux indique à Hauchart qu’il ne croit pas beaucoup à son explication sur l’origine des fonds. 

Hauchart poursuit en disant que le PR a des difficultés pour financer le siège du parti et qu’en même temps ils ont 40 millions à placer et ne peuvent le faire avec leur banque, le Crédit du Nord, la direction ne voulant pas prendre cet argent en liquide (...) Finalement, le conseil d’administration du Fondo a décidé d’autoriser le dépôt des 40 millions par le nouvel associé, à savoir le Parti républicain (....)
 

Hauchart nous informe qu’il va d’abord faire une première opération pour le compte du PR, pour qu’on apprenne « à se connaître » et à « se faire confiance ». En juin 1996, Hauchart arrive au siège parisien du Fondo, un matin. Nous le recevons avec M. Genesseaux et il nous dit que Renaud arrive avec les fonds. 

C’est la première fois que je vois Renaud Donnedieu de Vabres. Il s’est garé côté jardin et il est monté avec une mallette noire à codes. On m’appelle pour procéder à l’ouverture et compter les fonds. Au total, il y avait 5 millions de francs, plus 500 000 francs pour les commissions. C’était des billets de 500 francs compactés dans du papier plastique. Les billets étaient neufs et leurs numéros se suivaient. Il y avait 11 liasses de 500 000 francs, dans des sachets de plastique très épais. Donnedieu de Vabres a dit qu’il sortait de la Trésorerie municipale, ce qui m’a beaucoup étonné. 

Genesseaux et moi avons pris la route le lendemain pour nous rendre au Luxembourg afin de déposer cette somme en liquide sur un compte du Fondo ouvert à l’American Express Bank. Nous avons dit que cet argent venait du Parti républicain et qu’il devait retourner au Parti républicain, raison pour laquelle nous demandions un chèque de la même somme (....) Quelques temps plus tard, Hauchart nous a dit qu’il voulait faire une seconde opération à hauteur de 10 millions de francs, elle ne se fera jamais, du moins avec le Fondo ».
 
 

L’argent n’a pas été perdu pour tout le monde, puisque selon les enquêteurs, un prêt de 12 millions de francs a été accordé à l’association de gestion des adhérents directs de l’UDF par la Société suisse de banque, le 13 novembre 1996. 
  
En attendant d’en savoir plus, les déclarations du fondé de pouvoir du Fondo poussent Serge Hauchart à se libérer de ses trop lourds secrets. 

« Au jour d’aujourd’hui, déclare-t-il le 9 novembre dernier au gendarme qui l’interroge pour le compte de la Division nationale d’investigations financières et fiscales, je suis particulièrement choqué. 

Dans cette instruction, j’ai constaté que les parties étaient les familles des victimes des attentats de Karachi. Je comprends que celles-ci n’ont toujours pas réalisé leur deuil tant que la manifestation de la vérité n’a pas été faite, alors j’ai décidé d’aller jusqu’au bout, quelles que soient les conséquences pour moi (...) 

Je réalise que les 40 millions qui ont été évoqués lors des négociations (réalisés avec le Fondo à la demande de MM Léotard et Donnedieu de Vabres) sont vraisemblables. Cette somme ne peut venir en aucune façon des fonds secrets. Cette somme provient de la confédération de l’UDF (...) Les propos de M. Mevel sont plutôt conformes à la réalité des faits ».

Et l’homme d’affaires de préciser qu’il a été mis au courant d’un « dépôt important » dont le montant ne lui a pas été communiqué, pas plus que le nom de l’ayant-droit, dont il subodore qu’il s’agit « d’une personne très proche de Renaud Donnedieu de Vabres ». 

« Dans mon souvenir, ce compte existait dans un établissement bancaire marocain », précise l’homme d’affaires, ouvrant de nouveaux horizons aux investigateurs.

Eduard Balladur en compagnie de Francois Léotard lors de la convention nationale du RPR, 1997 -  STEVENS FREDERIC/SIPA
Eduard Balladur en compagnie de Francois Léotard lors de la convention nationale du RPR, 1997 - STEVENS FREDERIC/SIPA
Malheureusement, il ne connaît pas le nom de cette banque, mais sur l’origine des fonds, nul doute à ses yeux qu’ils pourraient provenir des commissions sur les contrats d’armement. 

« Quel était le montant total des espèces que M. Leotard voulait mobiliser ? » insiste l’enquêteur. 

« Je n’en ai aucune idée. J’au été au cabinet du 1erministre et je savais qu’il y avait des fonds secrets à la libre disposition de chacun des ministres. L’usage voulait que chaque ministre parte avec la caisse à la fin de son mandat (...) Quand il n’y a plus eu de solution avec les banques françaises, Renaud Donnedieu de Vabres et François Léotard m’ont dit : « on a 5 briques, débrouille toi pour les utiliser ».    
 
 
Forts de ces réponses, l’enquêteur entend une nouvelle fois Olivier Mevel, l’ancien fondé de pouvoir du Fondo, le 21 mars dernier. Au cœur de l’audition, le nouveau prêt de 10 millions de francs réclamé par le Parti républicain en juillet 1996. 

Renaud Donnedieu de Vabres, 2002 - JOBARD/SIPA
Renaud Donnedieu de Vabres, 2002 - JOBARD/SIPA
- « Pour le premier prêt, explique-t-il, M. Donnedieu de Vabres avait amené 5,5 millions de francs en numéraire, donc nous pouvions légitimement pensé que pour ce second prêt de 10 millions, ils pouvaient amener cette somme en liquide, en tout cas c’est ce qui était prévu (...) Avec le recul, je pense qu’ils ont fait cette opération dans une banque plus confidentielle ».  

- « Dés le départ des négociations, M. Hauchart vous dit que le PR a des difficultés financières, mais qu’en même temps il propose de vous garantir leur prêt par un dépôt de 40 millions de francs en numéraire, interroge l’enquêteur. N’y a-t-il pas une contradiction ? » 

« Bien évidemment je m’étais posé la question et j’en avais parlé avec M. Genesseaux qui m’avait expliqué qu’il s’agissait de fonds secrets. J’étais jeune et très surpris. M. Genesseaux m’a répondu qu’il ne fallait pas être naïf ». 
  
La petite famille autrefois si soudée est en train de se décomposer sous les yeux des juges. Preuve supplémentaire, le coup de téléphone énervé passé par Jacques Bournazel (ancien administrateur du Fondo) à l’avocat d’Olivier Mevel, M° Pierre Duponchel. « Il a accusé Pierre Duponchel de ne pas l’avoir prévenu de son éventuelle audition par vos servies, car lui-même était franc-maçon, explique Mevel (...) Il aurait du prévenir M. Bournazel s’il avait été un « bon » franc-maçon ».   

De quoi inciter l’une des avocates des victimes de Karachi, M° Marie Dosé, à réclamer le 5 avril dernier une confrontation au sommet entre Mevel, Bournazel, Hauchat et Donnedieu de Vabres. En s’étonnant du fait que Bournazel refuse de s’expliquer sur ses allers et retours à l’Hôtel Beau rivage, en Suisse, « à des dates particulièrement intéressantes au vu des éléments dores et déjà actés au dossier ». 

L’avocate incite au passage les juges à creuser cette nouvelle piste apparue au détour des déclarations de Serge Hauchart, selon lequel une importante somme d’argent aurait été déposée dans une banque marocaine. 

Balle saisie au bond par le commissaire chargé de coordonner les investigations, qui considère à son tour « opportun » de solliciter les autorités judiciaires marocaines en ciblant Renaud Donnedieu de Vabres, mais aussi l’ensemble de ses proches. Pour mémoire, le contrat Sawari II, antérieur à celui du Pakistan, a été signé... à Casablanca (Maroc).

mercredi 24 avril 2013

L'eau, le mal et le bien. Philosophie concrète.

L'eau n'est pas un bien marchand comme les autres.
L'eau c'est la vie, quiconque ôte l'eau à un être vivant, lui ôte la vie.

Véolia est un meurtrier

Cet homme était salarié de Veolia-Eau depuis 20 ans. Il s'appelle Marc, il a 48 ans. Qu'a-t-il fait ? Il a refusé de couper l'eau dans des foyers qui ne pouvaient plus payer leur facture d'eau potable. Pour la multinationale Veolia, les clients sont des pompes à fric. Pas question d'admettre qu'il s'agisse d'êtres humains. Car les êtres humains ne peuvent se passer d'eau. Mais la multinationale ne peut se passer de ses profits. C'est donc l'argent qui a le dernier mot. Les êtres humains qui n'ont plus d'argent doivent se passer d'eau. Mais ce n'est pas possible. C'est ce que s'est dit Marc. Marc est un être humain. Pas son patron. Une personne qui ne peut payer doit se passer d'eau où payer. Comment payer ? Ce n'est pas le problème du patron car « si tout le monde faisait comme ça »,  etc. Par exemple la personne qui n'a pas d'argent pour payer l'eau dont elle ne peut se passer pourrait agresser un passant dans la rue pour lui voler son portefeuille, se prostituer, vendre de la drogue, ou n'importe quoi d'autre qui soit inhumain et illégal, la multinationale s'en fiche. Tout est bien du moment que sa part lui revient en payant la facture qui comporte le prix du service et le profit pour les dividendes. Celui qui touche le dividende se fiche que l'argent viennent d'une activité inhumaine ou illégale du client. D'ailleurs lui-même peut placer son argent dans les paradis fiscaux où les fonds de la drogue, du vol, de la corruption et de la prostitution se garantissent les uns les autres. Tout est donc simple dans ce monde-là.
Quelqu'un sans eau, pour Veolia, c'est juste un mauvais payeur qui n'a que ce qu'il mérite. De toute façon cette personne ne peut pas se défendre. On peut donc l'agresser sans risque. Couic, plus d'eau. Paye ou crève, c'est ton problème. Un point c'est tout. Telle est la force banale du mal. Le mal absolu. Celui qui coupe l'eau à quelqu'un qui ne peut payer décrète que le mauvais payeur n'est pas un être humain. Parce que les êtres humains ne peuvent vivre sans eau. Marc, 48 ans, salariés depuis 20 ans de Veolia, paye ses factures et il n'aime pas les mauvais payeurs. Mais il n'arrive pas à oublier que ce sont des êtres humains. Marc est donc viré pour insuffisance d'inhumanité. L'inhumanité est une qualité requise au travail chez Veolia. Et moi je dis ceci, en accord avec les « Robins des bois », les « Mariannes des énergies », les principales religions et philosophies. Je dis ceci, tranquillement. Celui qui nie l'humanité de l'autre nie la sienne. L'inhumanité est contagieuse et la première victime est aussi celui qui accepte d'être inhumain. Désobéir à une consigne inhumaine est un devoir fondamental pour rester un être humain. Désobéir est un devoir d'autant plus impératif lorsqu'il y a mise en danger des biens et des personnes. Ce qui est le cas avec la privation d'eau. Priver quelqu'un d'eau c'est décider qu'il peut s'en passer. Or il ne peut s'en passer. Priver d'eau quelqu'un est donc criminel. Si vous êtes de cet avis vous pouvez signer la pétition. Juste pour lui donner une tape fraternelle sur l'épaule, juste pour lui dire merci de rendre le monde moins stupide cruel et inhumain. Cet homme a perdu son boulot pour ça. L'eau doit être socialisée. La garantie de l'accès aux moyens des droits humains fondamentaux doit être assurée. Il faut la gratuité des premiers mètres cubes d'eau et des premiers kilowatt-heures. On sait exactement combien cela représente d'eau et d'énergie. Cela se finance par un tarif progressif et par la surfacturation des mésusages. L'eau de confort coûtera plus cher que l'eau pour boire et se laver. Le monde doit être aussi simple.

Printemps : le plan social qui se cache derrière le rachat par le Qatar

Un temple du luxeUn temple du luxe
Les nouveaux documents obtenus par Mediapart révèlent la véritable nature du rachat par le Qatar : une opération immobilière assurant une rente très lucrative, qui ne s’embarrasse pas des salariés. Le magasin d’Haussmann est appelé à devenir un temple du luxe. La première transformation prévue va se traduire par la suppression d’au moins 226 emplois.

lundi 22 avril 2013

Austérité : le grand mensonge


Christine Lagarde, directrice du FMI en conférence à Washington - FLIGG ALYSON/SIPAUSA/SIPA
Christine Lagarde, directrice du FMI en conférence à Washington - FLIGG ALYSON/SIPAUSA/SIPA
Au bout de combien d’erreurs d’analyses, les experts – économiques en l’occurrence – sont-ils discrédités, délégitimés, rayés de la carte ? En d’autres termes, combien de fois faut-il démontrer qu’ils se fourvoient pour que leurs études ne fassent plus autorité, pour que leurs travaux ne servent plus de dogme infaillible à telle ou telle chapelle politique ? Bref, pour qu’ils ne puissent plus se prévaloir du titre d’expert ? 

C’est bien ainsi qu’il convient désormais de poser la question. Voici quelques mois, les plus grands experts du Fonds Monétaire International (FMI) avaient admis s’être trompés : leurs travaux avaient sous-estimé l’impact récessionniste des politiques d’austérité, surtout quand celles-ci sont menées à forte intensité au même moment dans plusieurs pays d’une même zone géographique. 

Pour le dire autrement : oui, l’austérité, appliquée aveuglément dans la plupart des pays d’Europe, ajoute de la crise à la crise.

Le campus d'Harvard - FLIGG ALYSON/SIPAUSA/SIPA
Le campus d'Harvard - FLIGG ALYSON/SIPAUSA/SIPA
Cette fois, ce sont deux économistes américains, Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, deux professeurs émérites de la célèbre université d’Harvard, qui viennent de reconnaître leur erreur. 

Leur thèse était aussi séduisante qu’implacable : une dette publique, lorsqu’elle dépasse le seuil fatidique de 90% du produit intérieur brut (PIB) provoque un effondrement de la croissance. En vertu de quoi, tous les pays devaient d’urgence se désendetter. 

Donc, hausse d’impôts et baisse des dépense publiques pour tout le monde. 

Les conclusions de leurs travaux, jamais remises en cause, avaient ainsi servi de boussole aux plus grandes institutions financières de la planète pour justifier des politiques de réduction drastique des dépenses publiques. Sauf que tout était faux ! 

Un jeune étudiant américain, Thomas Herndon, à la demande de son professeur, M.Pollin, a passé des heures et des heures à tenter de refaire la démonstration de Rogoff et Reinhart. En vain. Et pour cause : elle était truffée d’erreurs. 

Dans une lettre datée du 17 avril, le professeur Rogoff a reconnu sa faute et promis qu’il « redoublerait d’efforts pour éviter, à l’avenir, de telles erreurs ». Entretemps, des millions d’emplois – publics et privés – ont été détruits sur la foi de ce type de travaux et la crise, économique et sociale, n’a fait que s’aggraver. 

Ces nouvelles révélations interviennent au moment précis où le G20 – qui n’a pas peur du ridicule – exhorte désormais la zone euro à tourner la page de la rigueur – après lui avoir intimé l’ordre de l’appliquer avec la plus grande fermeté. Plus burlesque encore : l’agence de notation Fitch vient, après Moody’s, de retirer à Londres son triple A. 

Et devinez pourquoi ? Parce que le plan d’austérité qu’applique à la schlague David Cameron, le premier Ministre anglais, détériore gravement les performances de l’économie britannique et sans désendetter d’un centime l’Etat anglais. 

Or, cette politique n’a été menée que pour satisfaire les marchés financiers et leur bras armé, les agences de notation, en se basant sur des travaux économiques politiquement orientés et scientifiquement erronés. 

Maintenant que le grand mensonge est dévoilé, on continue comme ça ou on arrête les frais ?

jeudi 18 avril 2013

A quoi sert le Haut conseil des finances publiques ?


Le tout nouveau « Haut Conseil des finances publiques » a rendu mercredi 16 avril son premier avis, qui porte sur les prévisions macroéconomiques du gouvernement. Les Économistes Atterrés, Attac et la Fondation Copernic ont décidé de mettre en place un « Conseil citoyen des finances publiques » qui réagira systématiquement aux avis du Haut Conseil. Voici le premier communiqué de ce Conseil citoyen des finances publiques.


Didier Migaud préside le Haut Conseil des finances publiques (PRM/SIPA)
Didier Migaud préside le Haut Conseil des finances publiques (PRM/SIPA)
L’instauration du Haut Conseil des finances publiques découle de la ratification par la France du Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG) de l’Union européenne qui enferme les pays européens dans un carcan budgétaire, ne leur laissant pas d’autre choix que de mener en permanence des politiques d’austérité. Dans une Europe économiquement intégrée, où la demande externe des uns dépend de la demande interne des autres, la généralisation des politiques d’austérité ne peut qu’enfermer la zone dans la récession. Cette récession conduit à une réduction des recettes fiscales qui a pour conséquence de rendre encore plus difficile la réduction des déficits que l'austérité était censée favoriser, justifiant ainsi un nouveau tour de vis, qui aggrave la situation, etc. Cette spirale mortifère est en train de toucher peu ou prou tous les pays européens, avec pour conséquence une destruction du « modèle social européen » et une paupérisation des populations. 
  
Cette analyse est paradoxalement confirmée par l’avis du Haut Conseil qui est obligé d’admettre que les coupes budgétaires, appelées pudiquement mesures de consolidation budgétaire, ont « un impact sur la croissance » et « sont susceptibles d’avoir un impact (…) sur le potentiel de croissance ». Le Haut Conseil remet ainsi en cause les prévisions de croissance du gouvernement que ce soit sur le court terme (2013 et 2014) ou sur le moyen terme (2015 et 2017). Mais il reste toutefois au milieu du gué. Il reconnaît que depuis plusieurs années les « prévisions de croissance » ont été « systématiquement affectées d’un biais optimiste ». Mais d’où viennent ces erreurs ? Ne serait-ce pas que ces prévisions ont systématiquement sous-estimé les effets récessifs des programmes d’austérité mis en oeuvre ? Le FMI lui-même, ce qui est cocasse, a récemment abondé en ce sens1. Le Haut Conseil, de son côté, se garde bien de trancher, sans toutefois fermer la porte à cette interprétation. L'air du temps serait-il sur le point de changer ? Quoi qu'il en soit les analyses du Haut Conseil confirment l’impasse totale de la politique gouvernementale. 
  
Dans ses Perspectives de l’économie mondiale publiées en octobre 2012, le FMI a révisé son estimation du multiplicateur budgétaire : celui-ci ne serait pas de 0,5 – comme il le soutenait précédemment – mais compris entre 0,9 et 1,7. Cela signifie qu’une baisse de la dépense publique de 1 point de PIB, soit 20 milliards, entraîne (pour un multiplicateur égal à 1,5) une chute du PIB de 30 milliards et une baisse des recettes de 15 milliards. Au prix d’une chute du PIB (et donc de l’emploi), le déficit ne se réduit donc que de 5 milliards. Et comme le PIB a chuté entre-temps, le ratio déficit public / PIB n’a quasiment pas baissé, tandis que celui dette publique / PIB continue à croître.
  
Ainsi, note-t-il que la reprise des exportations sur laquelle le gouvernement compte pour mettre en oeuvre son programme de stabilité bute sur trois problèmes. D’abord « les efforts amorcés par les pays du Sud de l’Europe pour restaurer leur compétitivité-prix pourraient en particulier affecter les exportations françaises ». En effet, par définition, les politiques de compétitivité sont non coopératives et aboutissent à un jeu à somme nulle.

Ce constat pointe la double absurdité de l’austérité généralisée. Elle fait boule de neige : la contrepartie de ces « efforts », c’est la récession et la baisse des importations des pays du Sud, qui évidemment « affecte » les exportations françaises. Et c’est un jeu à somme négative, où un pays ne peut gagner des parts de marché qu’au détriment des pays voisins, à condition que ceux-ci ne fassent pas la même chose, alors même qu'ils le font tous avec un magnifique entrain : une politique absurde. 
  
Le deuxième problème pointé par le Haut Conseil renvoie « au comportement réel des entreprises en matières d’investissement ». Les experts du Haut Conseil ne semblent pas croire aux espoirs du gouvernement, pour qui les 20 milliards d'euros du « Crédit d'impôt compétitivité-emploi » généreusement octroyés aux entreprises favoriseraient l'investissement et l'emploi. A quoi peut donc servir de baisser, par divers moyens, le coût du travail, si les entreprises n’investissent pas et utilisent leur surcroît de marge pour continuer à augmenter les dividendes versés aux actionnaires ? Pourquoi les entreprises utiliseraient-elles cette manne pour investir alors que « Le scénario d’une reprise de l’investissement des entreprises, retenu par le gouvernement, à compter du second semestre de 2013 reste conditionné à l’amélioration des perspectives d’activité », amélioration fort peu probable comme le démontre l’avis ? Les scénarios grec et portugais, où l'on constate aujourd'hui que les prix ne diminuent pas malgré la baisse drastique des salaires, montrent également que les ajustements espérés par les économistes officiels (« dévaluation interne » ou « politique de compétitivité ») ne fonctionnent pas. 
  
Le troisième problème tient aux variations du taux de change de l’euro qui peuvent annuler tous les efforts de compétitivité. Rappelons qu’entre janvier 2002 et avril 2008, l’euro s’est réévalué de 78 % par rapport au dollar. 
  
Bref, le Haut Conseil pointe les apories d’une politique de compétitivité… sans aucunement la remettre en cause. 
  
Au-delà, le Haut Conseil se montre sceptique sur une possible baisse du taux d’épargne des ménages censée pouvoir favoriser la demande effective interne et note que « dans un contexte où le chômage se maintient à un niveau élevé, les prévisions relatives à l’évolution des salaires paraissent optimistes ». On ne saurait mieux dire. Le Haut Conseil pointe ainsi le risque d’une spirale dépressive : plus de chômage, moins de salaires, moins de demande, plus de chômage… 
  
Le Haut Conseil note que le gouvernement retient le même chiffre de croissance que la Commission pour 2014, 1,2%, mais, en intégrant, sous la pression de la Commission elle-même, une politique budgétaire plus restrictive de 1 point de PIB; avec un multiplicateur de 1, le gouvernement aurait dû abaisser la prévision de la Commission de 1,2 % à 0,2 %. Il ne l’a pas fait, remarque avec raison le Haut Conseil. Aussi, le scénario présenté, nette reprise de la croissance en 2014 malgré des politiques restrictives, n’a aucune cohérence. 
  
Pour la période 2015-2017, le Haut Conseil reconnaît qu’il ne peut y avoir forte croissance sans la fin des mesures de consolidation, mais en tire bizarrement argument pour dire qu’il faut les appliquer rapidement en 2014 et 2015, sans voir que cela aggravera encore la situation durant ces deux années. 
  
Les conclusions de ces analyses sont sans appel. Alors que le gouvernement prévoit une « croissance » de ... 0,1 % en 2013, le Haut Conseil n'écarte pas le scénario d'« un léger recul du PIB en 2013 » et se montre dubitatif, on le serait à moins, sur les prévisions de croissance des années 2014-2017. 
  
Le Haut Conseil se livre donc à un certain nombre de constats parfaitement réalistes mais n'en tire rigoureusement aucune conclusion. Pire, il affirme, contre toute vraisemblance au vu de ses propres analyses, que « les mesures de consolidation budgétaires (sont) indispensables dans leur principe ». Il souhaite simplement que « les hypothèses sous-jacentes soient davantage étayées » sans reconnaître la contradiction entre la stratégie mise en oeuvre en Europe (des politiques restrictives dans tous les pays) et les résultats espérés (le retour de la croissance). 
  
L’avis annoncé pour le mois de septembre portant sur la loi de finances 2014 sera particulièrement intéressant à lire. Après avoir montré le caractère irréaliste des prévisions du gouvernement en matière de croissance et pointé les apories des politiques de compétitivité européennes, remettra-t-il en cause l’objectif de réduire le déficit budgétaire à 2,9 % du PIB en 2014, puis d’annuler le déficit structurel en 2017 ? Ou bien préconisera-t-il encore plus de coupes dans les dépenses publiques, alors même qu’il vient d’en montrer les effets contre-productifs ?  

samedi 13 avril 2013

L’enfer de la croissance

Voici une ébauche de mes réflexions actuelles en fonction de mes lectures
je compléterai très bientôt. 

« Nous n'avons qu'une quantité limitée de forets, d'eau, de terre. Si vous transformez tout en climatiseurs, en pommes frites, en voitures, à un moment vous n'aurez plus rien »  (Arundathy Roy).
Notre société a lié son destin à une organisation fondée sur l'accumulation illimitée. Ce système est condamné à la croissance. Produire plus sans tenir compte de la nature des productions. Une telle société n'est pas soutenable, elle dépasse la capacité et la finitude de notre planète. Tous les arguments et artifices pour y remédier sont insuffisants ou fallacieux.
Dans notre société, dès que la croissance se ralentit ou s'arrête, c'est la crise, la panique. La croissance est un cercle vicieux. L'emploi, le paiement des retraites, le renouvellement des dépenses publiques (éducation, sécurité, transport, santé etc.) oblige à l'augmentation du PIB. L'usage du crédit qui permet de faire consommer ceux dont les revenus ne sont pas suffisants  et d'investir sans disposer du capital requis est un puissant dictateur de croissance, en particulier pour le Sud.
L'obligation de rembourser la dette avec  intérêt et donc de produire plus qu'on a reçu.  Ce remboursement  avec intérêt  introduit la nécessité de croissance et tout un chapelet d'obligations correspondantes. Ce sont ces exigences qui  « obligent » à croître indéfiniment. L'économie est comme un géant déséquilibré qui ne reste debout que grâce à une course  perpétuelle, écrasant tout sur son passage. La dictature du taux de croissance nous force à vivre en surrégime,  à produire et consommer de façon déraisonnable.  Notre mode de vie est insoutenable tant écologiquement que socialement.  Même s'il pouvait perdurer indéfiniment, il serait insupportable. En ce qui concerne les ressources non renouvelables, leur gestion doit être plus que prudente. Or ce qui booste notre économie moderne, c'est l'utilisation massive des sources d'énergie fossile, cadeaux provisoires du passé géologique. En plus notre modèle productiviste est lié à l'échange inégal d'énergie.
On peut mentir tout le temps à quelques uns, on peut mentir un moment à tout le monde, mais on ne peut pas mentir à tout le monde tout le temps.
Changeons ce système.
Il nous sera impossible de vivre dans un autre système sans abandonner les conduites réflexes crées par le système actuel , c'est à dire les schémas mentaux et  attitudes compulsives de la « bête à consommer » que la publicité a ancré au plus profond de notre être. Il faut débarrasser notre imaginaire du fantasme de l'avoir pour mieux être. Les services publics, la protection sociale et la culture doivent être soustraits à l'appétit du capital qui y voit une source de richesse immense avec celle de la marchandisation du monde. La rupture des chaînes de la « drogue » sera d'autant plus difficile qu'il est de l'intérêt des trafiquants ( les firmes transnationales ) de nous maintenir dans l'esclavage. Le progrès, la croissance, la consommation ne sont plus un choix conscient mais une drogueà laquelle nous sommes tous accoutumés  et incapables d'y renoncer volontairement. Seul un échec historique de cette société peut probablement faire découvrir que le bonheur de l'homme n'est pas de vivre beaucoup, mais de vivre bien. Pas de vivre avec toujours plus mais de vivre avec le nécessaire dans un monde plus frugal. Sans quoi, on va dans le mur.
Maintenant l'abondance capitalistique a échoué. Il faut affronter la vie pratique à travers d'autres concepts. Un bouleversement complet des rapports sociaux de production, de répartition et de redistribution, en fonction du changement des valeurs. Ebranlons le caractère systémique des valeurs dominantes.
Le capitalisme et il faut le reconnaitre le socialisme, participent aux mêmes valeurs productivistes. Si le second avait triomphé plutôt que le premier, il y a fort à parier que le résultat serait identique. Ils ont la même vision opérationnelle de la nature, corvéable à merci pour répondre à la demande. L'un et l'autre veulent satisfaire l'exigence de bien être social par l'augmentation indéfinie de la puissance productive pour le marxisme et la dynamique des mécanismes du marché pour le capitalisme en éliminant les obstacles à son fonctionnement. Le pétrole  socialiste n'est pas plus écolo que le pétrole capitaliste. Il faut casser la société productiviste et de consommation. La croissance et le développement fonctionnent par l'exploitation de la force de travail et la destruction sans limite de la nature.
Actuellement, les entreprises, les administrations (Etats inclus),et les ménages sont dans la logique capitalistique, car c'est celle des acteurs dominants de la société moderne et qu'elle a colonisé les esprits. Loin de là l'élimination des capitalistes, l'interdiction de la propriété privée des biens de production. L'élimination du rapport salarial ou de la monnaie amèneraient le chaos. La monnaie en tant qu' unité de valeur et de moyen d'échange est une grande invention seulement le marché capitalistique qui considère la monnaie comme une sorte de fluide qui passe d'un secteur de production à un autre immédiatement simplement par l'appât de plus grands profits est absurde, mais aussi parce que les prix n'ont rien à voir avec les coûts. 
Il faut redistribuer l'ensemble des éléments du système, la terre, les droits de prélèvement sur la nature, l'emploi, les retraites etc. pour les raports de redistribution Nord/Sud qui posent problèmes, il s'agit moins de donner plus que de prélever moins.

lundi 8 avril 2013

L'Allemagne, machine à créer de l'injustice !


L'économiste et analyste Michel Santi revient sur les ressorts du modèle allemand, doit-on s'en inspirer? Quels en sont les failles?


Les petites mains du Mur de Berlin - Markus Schreiber/AP/SIPA
Les petites mains du Mur de Berlin - Markus Schreiber/AP/SIPA
Doit-on s'inspirer du modèle allemand ? Oui - bien sûr ! -, si l'on en croit les statistiques du chômage, qui atteint 25 % en Espagne, près de 11 % en France et même 7,7 % aux Etats-Unis... comparé au taux de sans-emploi de 6,5 % en Allemagne ? Qu'attend donc le reste de l'Union européenne pour marcher dans les pas d'une Allemagne qui n'a de cesse de s'ériger en modèle absolu en termes de compétitivité de ses entreprises et de flexibilité de son monde du travail ? 

En réalité, la forte décrue du chômage en Allemagne est entièrement redevable à une dérégulation intensive ayant favorisé la création d'emplois temporaires, ou à salaires très réduits. La flexibilité allemande n'a donc pu se réaliser qu'au prix de ces «minijobs» qui ont ainsi augmenté de 14 % entre 2005 et 2011 et qui concernent quelque 4,5 millions de salariés, dont les revenus se situent entre la moitié et les deux tiers de ceux du salarié moyen. 

Le développement de ce travail à la précarité sans précédent devait néanmoins représenter une aubaine pour des entreprises qui, dès lors, furent promptes à accélérer leurs embauches. L'essor de cette catégorie d'emplois fut trois fois plus important que celui qui concernait les emplois «traditionnels», durant cette période considérée. De fait, les toutes récentes statistiques émanant de l'OCDE indiquent que les emplois à bas (voire à très bas) salaires représentent 20 % de la masse salariale allemande, par rapport à 13 % en Grèce et à 8 % en Italie... 

Il va de soi que, dans un contexte de salaires qui atteignent un maximum de 400 € par mois, les employeurs n'ont plus aucune motivation à embaucher sur la base de contrats de travail à durée indéterminée. Ce qui explique qu'un salarié allemand sur cinq perçoit aujourd'hui 400 € par mois, et que les contrats à durée indéterminée sont progressivement scindés en un ou en plusieurs «minijobs». Le tout, dans un cadre allemand où le salaire minimum est banni des dictionnaires comme des lois. 

La création de toutes pièces de cette sous-classe de travailleurs est le résultat d'une entreprise planifiée dès le début des années 2000 par le chancelier de l'époque, Gerhard Schröder. Si la fédération patronale allemande se positionne contre l'instauration du salaire minimum, accusé de créer le chômage en augmentant le coût du travail, c'est qu'elle est totalement soutenue par un cadre légal et par l'écrasante majorité des partis politiques peu enclins à s'apitoyer sur ces salariés et sur ces travailleurs sous-payés. 

Ces derniers n'ont nullement bénéficié du redressement spectaculaire de leur pays à la suite de sa réunification. Bien au contraire, ils ont subi une décapitation de leurs revenus ces dix dernières années. Le miracle allemand n'est en effet que mirage - voire cauchemar - pour une partie importante des travailleurs allemands, en l'occurrence pour près de 5 millions d'entre eux ! N'oublions pas les déclarations tonitruantes de Schröder à la tribune du World Economic Forum en 2005, qui annonçait fièrement avoir «créé un des meilleurs secteurs d'Europe en termes de bas salaires»... 

Cette masse de «minijobs» exerce des effets pernicieux sur l'ensemble des pays d'Europe périphérique. Ces misérables salaires octroyés dopent, bien sûr, les exportations du pays tout en restreignant considérablement sa capacité à consommer, et donc à importer. L'incontestable compétitivité allemande - qui se réalise au détriment d'une immense masse salariale - est donc aussi une authentique plaie pour les nations en pleine crise. De manière bien compréhensible, celles-ci se montrent incapables d'exporter vers l'Allemagne et vers les Allemands qui n'ont pas les moyens de se payer des produits espagnols, italiens ou portugais. 

Ainsi, la politique allemande représente une des failles structurelles majeures de l'Union européenne, car elle y impose et y instaure une déflation généralisée. La seule et unique formule permettant aux entreprises européennes périphériques de gagner en compétitivité consiste logiquement en des réductions généralisées des salaires de leurs travailleurs afin de tenter de concurrencer les marchandises allemandes à l'exportation et de vendre aux consommateurs de ce pays. Comment les politiques et les chefs d'entreprise allemands ont-ils aujourd'hui le cran d'ironiser sur les économies européennes périphériques - voire de les stigmatiser - quand la quasi-intégralité de la croissance allemande reste redevable à l'appétit de consommation et à l'endettement de ces nations ? 

Il est donc urgent d'augmenter aujourd'hui les salaires de ces «minijobs» allemands afin de faciliter et de promouvoir un transfert équitable des richesses et des revenus à l'intérieur même de l'Union. Car les déséquilibres touchant un pays de l'importance de l'Allemagne exercent à l'évidence un impact nuisible sur toute la zone. N'est-il pas temps de commencer à avoir un regard (très) critique vers cette dynamique de compétitivité allemande, tant admirée, mais qui s'apparente plus à une machine à créer de l'injustice et des déséquilibres ?