samedi 23 février 2013

Dernières nouvelles de Hitler


De Marianne

THOMAS RABINO

Après des centaines de biographies et d'études consacrées au nazisme, la vie du plus sanguinaire des dictateurs conserve une part de mystère. Quatre nouveaux ouvrages, de Laurence Rees à Pierre Milza, marquent les 80 ans de l'arrivée au pouvoir de Hitler.


Dernières nouvelles de Hitler
On connaît les grandes lignes du portrait de Hitler composé au fil des années par les recherches historiques. Un peintre raté et effacé, passé sous l'uniforme en 1914 mais plus ou moins planqué, devenu un ancien combattant de la Grande Guerre ruminant son aigreur et qui mua, dans une Allemagne vaincue secouée par les crises, en un agitateur bientôt prêt à tout pour prendre le pouvoir. Un être asocial, tantôt hésitant, tantôt d'une confiance inébranlable, capable d'entraîner des masses consentantes dans les abîmes sans fond de l'inhumanité, grâce à la connivence de multiples acteurs. 


Un dictateur paresseux, auteur, sur le plan militaire, de coups de génie comme de bourdes monumentales, doublé d'un tyran génocidaire qui érigea la haine et la destruction en doctrine politique. Selon d'autres historiens - et une piste suivie par le renseignement américain dès 1947 -, le chef de l'Etat nazi, certain d'être guidé par «la Providence», était de surcroît cliniquement atteint de folie (mais bien responsable de ses actes), comme le laisse supposer son hospitalisation en octobre-novembre 1918 dans le département psychiatrique de l'hôpital de Pasewalk. 

Charisme mortifère 

La quintessence du personnage se situe toutefois dans son charisme paradoxal, sans lequel cet ex-caporal autrichien serait resté un obscur pangermaniste. C'est ce charisme mortifère qu'observe à la loupe l'historien et journaliste Laurence Rees, ancien directeur de la chaîne BBC History, dans un passionnant essai psycho-historique aujourd'hui publié sous le titre Adolf Hitler, la séduction du diable (Albin Michel). Son titre originel en anglais, The Dark Charisma of Adolf Hitler («le Sombre Charisme d'Adolf Hitler»), n'a pas la connotation inutilement surnaturelle du titre français. Car Hitler a bien adossé ses actes à un pouvoir concret que Rees s'emploie à rendre palpable : comment le «pouvoir de séduction» de Hitler, a priori inexistant, a-t-il pris forme ? Quelle attirance, quel rejet, quel aveuglement Hitler a-t-il suscités ? 


Comment sa force de conviction a-t-elle pu subsister alors que la défaite de Stalingrad, début 1943, démontrait toute l'irrationalité des certitudes hitlériennes ? Pour répondre à ces questions, l'auteur a puisé dans un solide corpus de témoignages - Allemands lambda et caciques du Reich - constitué par ses soins au cours des vingt dernières années. 

«Mon impression est que, fort heureusement, cet homme, Hitler, n'accédera jamais au pouvoir», crut ainsi l'un de ces témoins des années 20. «Ceux avec qui j'étais, les nombreuses personnes qui assistaient partout aux conférences du parti, tous le croyaient, et la seule raison qu'ils avaient de le croire, c'était parce qu'il était évident que lui aussi y croyait», juge un autre. La mise en perspective de ces confessions contradictoires, recoupées par divers documents, révèle les ingrédients d'un cocktail toxique, mêlant les aspirations de tout un peuple, des fragments d'idéologie déjà datée, des ambitions personnelles, un système de prébendes, des réticences vite circonscrites aussi, l'ensemble conditionnant des dizaines de millions d'individus à «travailler en direction du Führer», c'est-à-dire à obéir ou même à devancer les objectifs délirants définis par Hitler, comme l'a théorisé l'historien britannique Ian Kershaw, auteur en 1998-1999 de sa biographie de référence (lire son interview, ci-contre). 

Un manifeste apocalyptique 

Avec Mein Kampf, publié en 1925, le charisme de Hitler trouva une expression livresque. La réédition augmentée de Mein Kampf, histoire d'un livre (Flammarion), du journaliste et documentariste Antoine Vitkine, en finit avec quelques légendes tenaces : la «bible nazie» fut bien le fruit des pensées torturées de Hitler que son secrétaire Rudolf Hess se contenta, avec quelques autres, de rendre un peu moins indigeste. Surtout, Vitkine détaille la vie d'un ouvrage dont les 10 000 exemplaires du premier tirage furent écoulés en quelques mois. Culminant à 23 000 exemplaires avant la crise de 1929, les ventes du premier volume exploseront à la faveur des succès électoraux enregistrés par les nazis, faisant ainsi la fortune de son auteur. Mein Kampf gagne ainsi à être resitué dans la stratégie politique définie par Hitler, désormais «messie» autoproclamé et soucieux de reprendre la main sur son parti groupusculaire. Devant le système argumentatif de ce manifeste apocalyptique, on ne peut que se demander pourquoi, après avoir failli être interdit en 1925, cette autobiographie programmatique annonçant l'horreur nazie a-t-elle si peu fait réagir en Allemagne même, mais aussi chez son «ennemi héréditaire», la France. C'est ainsi qu'en dépit de son immense succès l'extrême radicalité de l'ouvrage prit pour Hitler la forme d'un potentiel boulet entravant la relative tentative de «normalisation» de son discours. 

Dans Hitler. 30 janvier 1933, la véritable histoire, aujourd'hui également publié, rien de moins que le 17e livre que l'historien François Delpla consacre à Hitler et au nazisme, ce spécialiste milite pour un réexamen de sources qu'il juge mésestimées, et fait le point sur les étapes successives de la marche hitlérienne vers le pouvoir. A ce titre, les Mémoires rédigés en 1946, publiés en 1977 et non traduits en français d'Otto Wagener (1888-1971), un industriel rallié très tôt au national-socialisme, ont alimenté la réflexion d'un essai qui entend démontrer la préparation minutieuse de ce qu'il convient d'appeler un véritable coup d'Etat constitutionnel - et, il faut encore et toujours le rappeler, non démocratique, Hitler n'ayant jamais réellement été élu. 

Antithèse de Mussolini 

Devenu un conseiller économique de premier plan tombé en disgrâce peu après la nomination de Hitler à la chancellerie, Wagener fut, selon ses propres mots, un «confident» qui recueillit les états d'âme, les doutes et les certitudes du chef nazi. De fait, ce point de vue, dûment recoupé par différentes sources, campe un Hitler plus calculateur que jamais. Adepte, aux côtés de Rudolph Binion et, dans une moindre mesure, de Thomas Weber, d'une approche médico-historique tendant à démontrer la «folie» de Hitler, Delpla, fertile en thèses pour le moins iconoclastes - selon lui, Hitler n'était pas antisémite avant 1918, par exemple -, décrit un leader devant plus son triomphe politique à sa ruse qu'à une conjoncture favorable. Soit l'antithèse de Benito Mussolini, pourtant considéré par Hitler comme un véritable alter ego. 

En dix ans, Hitler et Mussolini se sont rencontrés dix-sept fois. Dans son nouveau livre, Conversations Hitler-Mussolini. 1934-1944, l'historien Pierre Milza a eu l'idée lumineuse d'observer cette décennie à la lueur de la relation criminelle et politiquement passionnelle nouée par les deux hommes. Admirateur du Duce, Hitler fut très tôt convaincu de pouvoir dépasser son modèle. «Si un Mussolini allemand était donné à l'Allemagne [...], les gens tomberaient à genoux pour l'adorer plus que Mussolini lui-même», assurait-il en 1923. Devenu un ami attentionné du leader fasciste, le maître de l'Allemagne fera de lui une marionnette, révélant ainsi sa capacité à séduire, quitte à se montrer déférent, un dictateur qui le trouva longtemps «risible». «Je vous considère comme mon meilleur, et peut-être comme le seul ami que j'aie en ce monde», déclarait Hitler à Mussolini quelques heures après l'attentat manqué du 20 juillet 1944, au terme d'une ultime entrevue. Fidèle à lui-même, le Führer trahissait dans le même temps sa promesse de respecter la souveraineté des territoires italiens à population germanophone. 

Les avancées sur Hitler évoquées plus haut rappellent que d'autres pistes restent à explorer : sans nouvel ajournement, l'ouverture en 2017 d'archives britanniques relatives au passage en Angleterre du nazi de la première heure Rudolf Hess, décidé à négocier la paix avec la couronne avant l'offensive à l'est de juin 1941, devrait par exemple apporter de précieux éléments à la recherche, Hitler ayant toujours prétendu que Hess avait agi seul. Rien n'empêche non plus de croire que n'émergeront pas des limbes historiques des documents fort instructifs, comme cette fiche signalétique du «journaliste Adolf Hitler», établie en 1924 par les services de renseignements français et redécouverte quatre-vingt-cinq ans plus tard. Bon an, mal an, l'image sombre de Hitler s'éclaire de plus en plus.  

La Séduction du diable, de Laurence Rees, Albin Michel, 442 p., 22 €. 

Mein Kampf, histoire d'un livre, d'Antoine Vitkine, Flammarion, «Champs-Histoitre», 332 p., 9 €. 

Conversations Hitler-Mussolini. 1934-1944, de Pierre Milza, Fayard, 408 p., 24 €. 

Hitler. 30 janvier 1933, la véritable histoire, de François Delpla, Pascal Galodé Editions, 215 p., 20 €. 


IAN KERSHAW TOURNE LA PAGE FÜHRER 

Auteur de la biographie de Hitler qui fait autorité depuis sa parution en 1998 et 1999, ainsi que d'un essai sur le charisme de celui-ci, l'universitaire britannique a choisi de consacrer son prochain livre à l'histoire de l'Europe au XXe siècle. S'il comportera sans doute de passionnants chapitres sur le IIIe Reich et la Seconde Guerre mondiale, Hitler n'est plus au cœur des recherches de Sir Kershaw. Il s'en explique dans nos colonnes. 

Marianne : Croyez-vous que d'importantes découvertes historiques soient encore possibles à propos de Hitler ? 

Ian Kershaw : Je ne le crois pas. De façon inévitable, des tentatives pour modifier nos interprétations continueront à voir le jour, comme le veut d'ailleurs la science historique. Mais des trouvailles majeures grâce à de nouvelles archives me semblent peu probables. 

Comment définir le poids réel de Hitler sur le cours des événements ? 

I.K. : Il est évident que la personnalité de Hitler a influencé l'histoire du IIIe Reich, et donc de la période. Naturellement, comme à chaque changement d'époque, le rôle des individualités doit être mis en perspective avec la part des «infrastructures impersonnelles» et l'apport de forces diverses. Mais le genre d'individu que fut Hitler a certainement façonné des décisions très cruciales, tout comme le personel du régime qu'il dirigeait. 

Selon certains chercheurs, Hitler était fou, au sens clinique du terme. Vous-même avez écrit qu'il s'agissait d'un «désaxé bizarre». Pensez-vous que les enseignements à tirer de son séjour dans le département psychiatrique de l'hôpital de Pasewalk, en novembre 1918, soient dignes d'intérêt ? 

I.K. : J'ai quelque doute à ce sujet. Les théories psychiatriques concernant l'expérience qu'a vécue Hitler à Pasewalk ne devraient pas nous amener bien loin.  

Propos recueillis par Thomas Rabino

mercredi 20 février 2013

Tout va bien ! Vingt Ferrari se vendent chaque jour dans le monde...


Pour le constructeur italien de voitures de luxe Ferrari, 2012 a été « la meilleure année que l’entreprise ait jamais connue en 66 ans d’existence ». « Tous les principaux indicateurs économiques ont dépassé les précédents records établis en 2008, en dépit d'un contexte économique international bien moins florissant », ont constaté avec joie les dirigeants de Ferrari, lors de la présentation des résultats annuels, lundi à Maranello.


Tout va bien ! Vingt Ferrari se vendent chaque jour dans le monde...
Pour le constructeur italien de voitures de luxe Ferrari, 2012  a été « la meilleure année que l’entreprise ait jamais connue en 66 ans d’existence ». « Tous les principaux indicateurs économiques ont dépassé les précédents records établis en 2008, en dépit d'un contexte économique international bien moins florissant », ont constaté avec joie les dirigeants de Ferrari, lors de la présentation des résultats annuels, lundi à Maranello.  
  
En 2012, il s’est ainsi vendu 7318 véhicules à travers le monde, soit 20 chaque jour.  Sachant que le prix moyen d’une Ferrari tourne autour de 220.000 euros… Ferrari confirme donc la règle générale du secteur du luxe, qui prospère malgré la crise.  
  
Vingt véhicules par jour, c’est moins que Rolls-Royce qui en vend dis quotidiennement, mais cela suffit pour obtenir un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros, et surtout de dégager un bénéfice net de 244 millions, en hausse de 17,8%. De quoi s’offrir un bon millier de Ferrari. 
  
Merci qui ? Les Américains et les Chinois.  Pour la première fois, il s’est vendu plus de 2000 Ferrari en Amérique du nord et les Chinois (y compris ceux de Hong-Kong et Taïwan) arrivent en deuxième position, avec 784 véhicules.  Le Japon,  le Moyen Orient et même l’Afrique sont également de bons marchés pour la marque.  
  
En Europe, les ventes progressent au Royaume-Uni, en Suisse et en Allemagne. L’entreprise n’a pas communiqué pas le chiffre de ses ventes en France (de l’ordre d’un peu moins de 300), mais elles semblent stables. En revanche, elles plongent en Italie ( - 46%). Le pays sait toujours fabriquer des voitures mythiques mais n’a plus les moyens de se les offrir… 

lundi 18 février 2013

Pour une nouvelle dynamique de mobilisation citoyenne !

L'austérité n'est pas une fatalité : pour une nouvelle dynamique de mobilisation citoyenne !
Les marchés financiers ont accordé un répit précaire à la zone euro. Les taux d'intérêt sur les dettes publiques se sont détendus, même s'ils restent insupportables pour des pays comme le Portugal ou l'Espagne. Pourtant, les politiques d'austérité continuent d'étouffer les peuples et provoquent de terribles dégâts sociaux : la Grèce connaît même un risque d'effondrement sanitaire. Les vices de construction de l'euro n'ont pas été réparés, la recherche effrénée de compétitivité par la baisse des salaires et des dépenses enfonce la zone dans la dépression.
A l'instar de ses voisins, le gouvernement français inscrit sa politique économique dans la stricte orthodoxie voulue par les marchés. La crise va continuer à  s'aggraver et le chômage à progresser.
Dans ce contexte, le Collectif pour l'audit citoyen de la dette publique estime urgent de relancer le débat sur les alternatives à l'austérité. Nous le ferons en poursuivant l'audit citoyen de la dette et en approfondissant notre démarche d'éducation populaire, en proposant le lancement de « Tribunaux des fauteurs de crise » au plan local et national, en mobilisant largement pour la préparation de l'Altersommet que les mouvements sociaux européens organisent à Athène début juin 2013.
1. Des marchés temporairement rassurés, mais une crise qui s'aggrave
Début 2013, les gouvernements et les instances européennes s'auto-congratulent. L'orage qui secoue la zone euro depuis trois ans semble s'être éloigné. La politique de la Banque centrale européenne a calmé le jeu : elle a inondé les banques européennes de liquidités à très bon marché et annoncé qu'elle achèterait « sans limites » sur le marché secondaire les obligations des États en difficulté à condition qu'ils appliquent une austérité sans failles.
La zone euro est-elle pour autant tirée d'affaires ? Certainement pas, car aucun réel remède n'a été apporté à ses failles essentielles. Ouverte aux mouvements de marchandises et de capitaux provenant du monde entier, elle est soumise à une intense pression commerciale et spéculative ainsi qu'à des chocs majeurs comme celui de 2008. En son sein, elle a organisé la concurrence fiscale, qui a entraîné la chute des recettes publiques et creusé les déficits. Elle a promu la compétition salariale et sociale vers le bas. Elle a interdit à sa Banque centrale de financer ses déficits, laissant ainsi les spéculateurs jouer avec les dettes publiques. L'Union européenne a maintenu son budget au niveau très faible de 1% de son PIB, s'interdisant ainsi toute politique de développement et de solidarité. En se fondant sur les seuls critères financiers, les pays de la zone euro ont échoué à faire converger leurs trajectoires économiques. La démocratie a été marginalisée au nom de l'efficience des marchés.
Aucune de ces failles n'a été comblée par les récentes réformes de la gouvernance de la zone euro. La taxation sur les transactions financières est annoncée par onze pays de la zone euro pour 2014, mais son ambition régulatrice demeure très incertaine. La spéculation mondiale sur les produits dérivés s'est encore renforcée depuis 2008, et les marchés financiers connaissent actuellement une nouvelle bulle. L'Union bancaire européenne prévue pour 2014 et la possibilité de recapitalisation directe des banques par les instances européennes n'éloignent aucunement les facteurs d'instabilité financière toujours présents, voire aggravés. Le « Pacte de croissance » vide de contenu n'a servi qu'à justifier la ratification par la France du Pacte budgétaire.
Dans ce contexte, les gouvernements européens mènent de façon coordonnée des politiques d'austérité aux conséquences économiques et sociales désastreuses. Ils réduisent l'emploi public, coupent dans les dépenses de protection sociale et dérégulent les marchés du travail pour faciliter les affaires des grands groupes. Le chômage et la précarité s'envolent, affectant tout le salariat et plus particulièrement les femmes, les jeunes, les migrants. Les investissements indispensables aux services publics, au logement social et à la transition énergétique sont sacrifiés. Si les effets de ces politiques sont particulièrement dramatiques en Grèce, en Espagne et en Portugal, les mêmes tendances sont partout à l'œuvre avec pour conséquence une généralisation de la récession en Europe, l'Allemagne, présentée comme un parangon de vertu, étant désormais elle-aussi touchée.
Les dirigeants européens ne mènent pas ces politiques par erreur : ils ont choisi de mettre la crise à profit pour parachever en peu d'années le démantèlement du modèle social européen, jugé trop protecteur et insuffisamment compétitif dans la concurrence mondialisée. Ce faisant, ils mettent en danger la démocratie en Europe.
2. En France, des choix gouvernementaux décevants
La politique économique de François Hollande, après quelques mesures fiscales utiles prises en début de mandat, s'enlise aujourd'hui dans les ornières déjà creusées depuis trente ans. Au nom de la baisse du coût du travail, le « pacte de compétitivité » rajoute 20 milliards d'euros (coût du Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi) à une déjà très coûteuse politique d'exonérations de charges sociales (30 milliards d'euros) qui dope plus les dividendes que l'emploi. La hausse de la TVA, destinée à financer ces cadeaux fiscaux aux entreprises, va réduire le pouvoir d'achat des classes populaires. L'accord interprofessionnel sur la réforme du marché du travail, signé par des syndicats minoritaires, va faciliter les licenciements sans apporter de réels nouveaux droits. La réforme des banques, en cours de discussion au Parlement, risque de n'être qu'un faux-semblant. Les allocations familiales et les retraites sont mises au menu de nouvelles réformes régressives.
Le gouvernement se félicite d'avoir rassuré les milieux financiers. Il est vrai que la France bénéficie actuellement de taux d'intérêts historiquement bas sur les obligations d'État. Cette situation semble rendre moins aiguë la question de la charge de la dette publique. Mais ce répit est causé par l'afflux en Europe de capitaux anglo-saxons en quête de rendements à court terme: il n'est pas durable. En privilégiant les profits des entreprises, la flexibilité, la fiscalité indirecte, la baisse des dépenses publiques, le gouvernement français alimente la spirale de l'austérité compétitive qui organise la récession européenne. Les marchés financiers, instables et moutonniers comme d'habitude, peuvent inverser à tout moment leur lecture de la situation et recommencer à spéculer contre les maillons faibles de la zone euro, dont la France.
Au plan politique la déception des électeurs qui avaient voté pour un véritable changement pourrait nourrir une droite dure et une extrême-droite arrogante, comme dans d'autres pays européens.
Pour inverser la tendance, les mouvements sociaux et citoyens doivent d'urgence coordonner leurs efforts, au plan national et européen, pour construire leurs solidarités, proposer des alternatives et offrir des perspectives de luttes et de mobilisations conjointes. Le collectif d'audit citoyen peut apporter une importante contribution en ce sens.
3. L'urgence de réponses alternatives et de luttes convergentes : le rôle de l'audit citoyen
Le collectif national pour l'audit citoyen de la dette publique constitue aujourd'hui un cadre unitaire large et précieux, rassemblant une trentaine d'organisations syndicales et associatives soutenues par des partis politiques. Il s'appuie sur une centaine de collectifs unitaires locaux, dont la plupart était représentés à la réunion nationale du 12 janvier 2013. Le collectif national et les collectifs locaux ont mené depuis plus d'un an une intense activité d'éducation citoyenne autour des enjeux de la dette publique, avec la production d'un matériel militant et pédagogique abondant et de qualité, la tenue de centaines de réunions, la mise en chantier d'audits locaux des finances publiques, l'interpellation d'élus locaux et nationaux. La campagne contre la ratification du Pacte budgétaire a permis d'intensifier cette activité ; et la formation d'un réseau des initiatives d'audit citoyen (ICAN), qui se réunit les 16 et 17 février à la rencontre de Thessalonique a contribué à lui donner une dimension européenne.
La configuration retenue initialement par le collectif – organisations du mouvement social soutenues par des partis politiques – a été réaffirmée et se retrouve dans le processus d'Altersommet européen, lancé en novembre dernier à Florence par un large collectif d'organisations associatives et syndicales issues de 20 pays et soutenu par de nombreuses personnalités européennes. Dans de nombreux pays européens, des mouvements sociaux, des syndicats et des partis politiques participent à ce processus pour proposer une refondation des politiques européennes. Ces mouvements se mobiliseront le 8 mars, journée mondiale de luttes des femmes et à l'occasion sommet européen des chefs d'Etat à Bruxelles les 13 et 14 mars 2013. Ils se rencontreront à Tunis lors du Forum Social Mondial fin mars. Début juin un sommet européen alternatif se tiendra à Athènes, l'un des hauts lieux de la résistance populaire européenne.
Le collectif national et les collectifs locaux d'audit citoyen inscrivent leur action dans la durée, pour que les citoyens s'approprient les enjeux majeurs qui déterminent leur devenir, en s'affranchissant du chantage à la dette et à la compétitivité. Nous devrons mener notre action en partant du plan local, de l'éducation populaire, de l'action citoyenne ancrée dans les réalités, tout en tissant des liens avec les mobilisations nationales, européennes et internationales sans lesquelles le rapport des forces ne pourra être modifié.
Les priorités de notre action dans les mois à venir seront les suivantes :
* approfondir l'audit national et les audit locaux :
Nous réaffirmons la validité de notre démarche d'éducation citoyenne sur la dette, ses origines, sa légitimité, les alternatives à l'austérité aujourd'hui présentée comme seule politique possible.
- afin de contraindre les autorités publiques à répondre à nos questions sur la dette, le collectif va solliciter la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire et demandera à être associé à ses travaux ; parallèlement un groupe de travail national poursuivra l'expertise sur l'audit citoyen, en y incluant la dette sociale.
- les démarches d'audit local des collectivités et hôpitaux publics seront poursuivies et développées, avec en particulier des formations proposées aux militants locaux ; nous approfondirons l'analyse critique du financement local (gel des dotations publiques, réformes de la fiscalité locale dans le cadre des prochaines lois de décentralisation, traitement des dossiers de prêts toxiques).
* favoriser les résistances locales et nationales à l'austérité :
De nombreux collectifs sont engagés dans des actions concrètes pour informer sur la dette, dénoncer les politiques d'austérité, soutenir les luttes sociales partout en France. Un cadre commun de mobilisation sera développé pour coordonner l'action des collectifs autour de luttes et d'enjeux concrets : nous proposons la mise en place d'un processus de « Tribunal des fauteurs de crise » qui, sur des dossiers précis choisis localement et dans un format commun avec le maximum de partenaires, visera à identifier les responsables, à monter des enquêtes citoyennes, à mettre en débat des actions et des alternatives.
 * nourrir les solidarités européennes et l'Altersommet : 
Le collectif a dès son origine pris des initiatives en lien avec les enjeux européens et en solidarité avec les peuples d'Europe du sud frappé par les politiques d'austérité ordonnées par la Troïka. Il s'agit de poursuivre cette action en lien avec la dynamique européenne de l'Altersommet. Pour ancrer cette dynamique européenne dans les réalités locales, le Collectif national et les collectifs locaux organiseront des caravanes / une tournée de réunions publiques d'ici à juin avec des intervenants européens autour des thématiques portées par le mémorandum des peuples de l'Altersommet. Un événement national se tiendra à Paris les 25-26 mai pour affirmer la participation des mouvements français à la construction d'un mouvement social européen.
Nous allons favoriser les échanges décentralisés et les jumelages avec des mouvements sociaux concrets de résistance dans les pays européens, notamment d'Europe du Sud, sur les conséquences des plans d'austérité (santé, éducation, logement, protection sociale, services publics, fiscalité, femmes, jeunes, droits sociaux, migrations, fermetures d'entreprises,…).

          

samedi 16 février 2013

Sarkozy : un météorite en pleine tête…

En plein sur le crâne qui crânait ! La Sarkozie redressait une tête de revanche, quand s’est abattu sur elle le sondage météorite de BVA-Itélé : 62 % des Français ne souhaitent pas le retour de Nicolas Sarkozy. Rude choc pas chic pour ses thuriféraires qui se réjouissaient déjà. Car les médias s’amollissaient à nouveau de complaisance aveugle, et ronronnaient de concert l’inéluctable retour de l’ancien Président, qui en avait tellement « envie » que rien ni personne ne pourrait lui résister. Vaines illusions… 

Ce rappel sondagier du rejet populaire plus fort aujourd’hui qu’hier souligne le dérisoire de toutes les spéculations sottes ou intéressées. Le lobbying sarkophile virulent a en effet réalisé un impressionnant travail d’influence. Ils ont fait passer, y compris dans les cerveaux réputés les meilleurs, le retour du perdant comme une évidence. « Sarkozy demain, tel serait notre destin… » Une confidence à l’un, un battement de cil à l’autre, un jugement assassin sur ses serviteurs d’hier, et il n’en manque pas, un commentaire tueur contre ses successeurs, et il ne les retient pas… et la rumeur Sarkozy enflamme de nouveau Paris. Comme la capitale se croit la France, le pays médiatique s’embrase à son tour. Sans considérer un instant que lorsque les Français ont tourné la page, ils n’ont pas le désir de la réécrire. Plus encore : la défaite du Président sortant en 2009 signait au minimum une coupure nette entre le peuple et lui. Quand le verdict du suffrage universel tombe, on l’a vu autrefois avec Valéry Giscard d’Estaing, il s’abat tel le couperet de la guillotine. Louis XVI ne s’en est jamais remis, et pour cause ! Mais Giscard pas davantage… 

Le retour en grâce populaire de l’ex-chef de l’État n’est donc absolument pas d’actualité, en dépit des récits enluminés d’artifices qui se sont multipliés où l’on apprend que des spectateurs au concert se lèvent pour l’ovationner ou que des passants en foule l’encouragent chaleureusement à revenir, et que le populo enfin le regretterait ardemment. Billevesées ! Alors même que son successeur déçoit, cela non plus, il ne faut pas le nier, et que la crise ne cesse de s’aggraver, Nicolas Sarkozy n’en tire aucun profit. Et pourtant… 

Pourtant s’il avait laissé un aussi bon souvenir, quasi divin, que le prétendent ses thuriféraires, l’ancien président devrait être regretté. On attend encore les processions de suppliants ! Sa fameuse « énergie », son « hyper-activisme » qui contrastent tant censément avec « la mollesse louvoyante » de François Hollande, tout son capital identitaire censément intact et exceptionnel auraient dû lui valoir une propulsion montgolfière dans le firmament de la popularité. Or il ne bénéficie en rien des difficultés ou des échecs de son successeur. Comme si l’histoire, ses heurs, ses malheurs se faisaient en lui. On pourra la trouver garce, mais point volage ! 

On dira qu’à droite personne d’autre n’engrange et que Sarkozy s’impose loin devant tous ses servants d’hier qui n’ont pas réussi à le remplacer dans le cœur de l’électorat de droite. François Fillon n’est pas trop loin, mais les autres sont largués, en particulier Jean-François Copé, qui se prétend tellement sarkozyste qu’il aurait aimé déjà le remplacer. Las… L’UMP demeure sarko-sarkozyste. Il est toujours le Boss pour les militants de ce parti imprégné de la culture du chef. Les chamailleries et disputes récentes entre les prétendants ne leur ont pas permis de s’imposer. Et comme elles ne peuvent que se poursuivre, ses affaires de ce côté-là ne sont pas si mauvaises. Plus ils s’affronteront, plus il pourra conserver cette apparence de recours, cette aura nostalgique qui amène des larmes dans les yeux des militants sincères, et il y en a. Mais la coupure n’en demeurera pas moins profonde entre cette droite de la nostalgie et cette France qui est entrée dans une autre histoire. Y compris à droite ! Sans parler du centre. Car ce que confirme aussi cette enquête d’opinion, c’est que les électeurs centristes dont l’apport avait été si important pour la victoire de François Hollande, ceux-là qui ont pu faire le succès des conservateurs dans tant d’élections ne veulent surtout pas revoir ce fantôme d’un passé qu’ils ont détesté. Que celui-là ait envie ou pas, peu leur chaud. Eux n’ont pas envie, mais alors pas du tout. Et pour que le désir revienne, il faudrait par exemple que ce bavard se taise, — Ah…. , qu’il change, — Oh…, qu’il dise par exemple « voilà pourquoi j’ai été battu, et par ma faute d’abord » – ouhlalalala !... 

vendredi 15 février 2013

Carlos Ghosn : l’affront


Le patron de Renault a fait un geste sur son salaire. Qui ressemble fort à un bras d’honneur… 


PRM/SIPA
PRM/SIPA
Il y a quelques années, les gazettes françaises et japonaises l’avaient surnommé « le samouraï » pour la maestria quasi militaire avec laquelle il avait redressé Nissan. Un titre largement usurpé : les samouraïs avaient un sens du devoir qui pouvaient les mener jusqu’au sacrifice suprême. Pas Carlos Ghosn. En guise de sacrifice, le ci-devant patron de Renault-Nissan se fend d’une aumône : il vient d’annoncer qu’il acceptait de reporter 30 % de son salaire variable au 31 décembre 2016, sous réserve que l’accord de compétitivité qu’il veut imposer aux salariés de Renault soit validé par les syndicats. 

Un accord qui prévoit 8 260 suppressions de postes – en théorie sans fermeture d’usine ni licenciements secs – ainsi que le gel des salaires et l’allongement du temps de travail des ouvriers. Comprenons bien : Monsieur Ghosn devrait gagner en 2013 plus de 12 millions d’euros, en incluant ces émoluments impériaux comme Pdg de Nissan, soit un revenu journalier – oui, oui, journalier – de 33 000 euros. 

En renonçant à toucher cette année 430 000 euros de variable, il va devoir se contenter de 31 800 euros/jour. Le plus fort, c’est qu’il n’y renonce même pas : il diffère seulement dans le temps le versement de cette somme. S’il tient sa promesse de ne pas faire de plan social, il récupérera cette partie de son bonus. Les Japonais, qu’il connaît bien, fuient rarement leurs responsabilités : lorsqu’ils ont fauté, ils démissionnent. Monsieur Ghosn se prive temporairement de 3,5 % de son salaire. C’est un autre choix. 

mardi 5 février 2013

Les “grands” médias, la droite et le gouvernement appellent à la fin de la démocratie


Il était une fois, il y a très longtemps, en janvier 2013, un accord visant à diminuer les droits des salariés était signé d’une part par le Medef et d’autre part par 3 syndicats CFDT, CGC et CFTC. Les “grands” médias aux ordres, la droite, le gouvernement saluèrent cet accord en le déclarant “historique”. Il l’est, parbleu, mais pas pour les raisons souvent évoquées !
Rappelons que les syndicats signataires représentent 38,7% des votants aux élections prudhommales de 2008 :
  • CFDT : 21,8 %,
  • CFTC : 8,7 %,
  • CGC : 8,2 %,
et que les non-signataires représentent 49,7% des votants  :
  • CGT : 33,9 %,
  • FO : 15,8 %
Si la CGT et FO sont majoritaires, c’est la preuve, pour les médias, la droite et le gouvernement, que ce sont des populistes! Comme le peuple le 29 mai 2005 qui a osé dire non à la vérité dogmatique révélée !
Comme chacun sait, l’union du Medef, des “grands” médias ,de la droite et du gouvernement(sauf sur les questions sociétales!) sait mieux que le peuple et les salariés ce qui est bon pour tous.
Non seulement il déclare en “creux” que 38,7  % c’est mieux que 49,7% comme ils ont déclaré que 45 % , c’est mieux que 55% lors de la ratification anti-populaire de 2008 du Traité de Lisbonne, mais ils essayent d’intimider la représentation nationale directement élue par le peuple, appelée à voter en l’état de “l’accord” lors du futur passage au parlement, en développant l’idée que ne pas suivre les 38,7 % et suivre les “vilains canards” qui font 49,7% soit près de la moitié des suffrages, serait être contre “la modernisation des rapports sociaux”. En fait , supprimer la démocratie est un gage de modernité chez les néolibéraux de droite et de gauche. Pour vous en persuader, nous vous prions de lire cet excellent article de Frédéric Lemaire1

Liquidateurs judiciaires : eux, ils ne font pas faillite


Les «pompiers du business» n'ont aucun intérêt à sauver l'entreprise en difficulté dont ils ont la charge. S'ils la laissent s'éteindre, ils encaissent le même gros chèque.


Les liquidations judiciaires comme celle du pôle frais du volailler Doux, en août dernier, sont reparties à la hausse en 2012 - F.LEPAGE/SIPA
Les liquidations judiciaires comme celle du pôle frais du volailler Doux, en août dernier, sont reparties à la hausse en 2012 - F.LEPAGE/SIPA
C'est Arnaud Montebourg, alors député, qui le premier avait sonné la charge : après six mois d'enquête sur le fonctionnement des tribunaux de commerce, son rapport au lance-flamme, présenté en 1998 avec son collègue socialiste François Colcombet, réclamait «une profonde révision des modes de rémunération des auxiliaires de la justice commerciale». Le futur ministre du Redressement productif parlait déjà, à l'époque, de «redresser» deux professions. En clair, de les mettre à l'amende... Dans sa ligne de mire, les fortunes colossales empochées, sur fond de scandales, par les administrateurs judiciaires - qui étudient les offres de reprise des entreprises en difficulté – et les mandataires judiciaires – qui vendent les actifs en cas de liquidation pour payer les créanciers. Las ! Le projet de loi qu'il défendit en 2001 ne put être voté avant la législature suivante. Et la droite, de retour aux affaires, jeta un voile pudique sur le dossier.  

Ces professionnels du droit, qui sont moins de 500 en France, continuent donc de vivre grassement au gré des faillites, grosses ou petites (9 défaillances sur 10 concernent des entreprises de moins de 10 salariés), lesquelles, avec 59 780 procédures de redressement ou de liquidation prononcées l'an dernier en France, sont reparties à la hausse (+ 2,7 %). Ne relevant ni de la fonction publique – ils sont rémunérés par les sociétés qu'ils sont censés prendre en charge –, ni du statut des professions libérales – le tribunal de commerce les désigne et leur confie une «clientèle» –, ils se payent en honoraires puisés dans une trésorerie... dont ils sont les seuls à détenir la clé. La pêche est bonne : leurs revenus varient, en moyenne, entre 200 000 et 300 000 e par an. «Cette pratique pose problème : elle rend toute tentative de contrôle difficile, sinon impossible», note dans un rapport récent le think tank Droits, justice et sécurités.

Ce club de juristes, qui dispose de bons relais au gouvernement, propose d'établir un filtre, en consignant à la Caisse des dépôts les émoluments des administrateurs et des mandataires judiciaires, puis d'attendre la décision du tribunal avant de virer les fonds sur le compte de l'étude. Autre proposition : lier ces rémunérations à la survie des entreprises. Car, pour l'heure, ces «pompiers du business» n'ont aucun intérêt à sauver la maison - et ses occupants, les salariés - plutôt qu'à la laisser brûler : dans les deux cas, ils encaissent la même somme... Le 14 décembre dernier, le ministre du Redressement productif, assisté de Christiane Taubira, pour la Justice, et de Benoît Hamon, pour l'Economie solidaire, a annoncé son souhait d'améliorer «l'efficacité de la justice commerciale». Les premières mesures sont attendues pour mars.

Quinze ans après sa première salve, le soldat Montebourg osera-t-il repartir à l'assaut de cette citadelle ? 


Il faut
Indexer les honoraires des mandataires de justice sur le taux de survie des entreprises dont ils reçoivent la charge.

Notaires : on ne change pas une profession qui gagne autant


La réforme du statut privilégié de ces officiers ministériels n'est toujours pas à l'ordre du jour. Elle est pourtant recommandée depuis plus d'un demi-siècle dans nombre de rapports.


GILE/SIPA
GILE/SIPA
Ils sont un peu plus de 9 300 à exercer en France, ils réalisent 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an et ils ne renonceraient pour rien au monde à leur mission de service public. On les comprend : d'après une étude sur les professions libérales publiée en novembre dernier par Bercy, le revenu d'activité d'un notaire s'est élevé en moyenne à 228 000 € en 2010. L'équivalent de 19 000 € par mois avant impôt. Une formidable sinécure dont Vincent Le Coq, maître de conférences en droit public, et Laurent Lèguevaque, ancien juge d'instruction, ont pointé les multiples travers dans leur Manifeste contre les notaires (Max Milo Editions, 2011). Facturation de documents inutiles ou de frais indus sur des expertises déjà payées à d'autres (les diagnostics plomb, amiante, termites, performance énergétique), silence assourdissant de la corporation sur l'obligation de gratuité des actes dans le cadre de l'aide juridictionnelle, contrôle en trompe l'œil de l'Etat qui le délègue en pratique aux intéressés...   

Depuis un demi-siècle, les rapports se succèdent, signés d'experts patentés, de l'économiste Jacques Rueff (1960) à l'avocat Jean-Michel Darrois (2009), pour réclamer une réforme du notariat. En vain : à ce jour, aucun gouvernement, de droite ou de gauche, n'a osé s'attaquer aux privilèges de ces officiers ministériels dont Jacques Attali, dans un autre rapport promptement enterré en 2008, préconisait de «supprimer les tarifs réglementés». Car c'est bien là que se situe le nerf de la guerre. 

A entendre le Conseil supérieur du notariat, le fait pour les pouvoirs publics de fixer l'émolument d'acte, qui rémunère la rédaction proprement dite, et l'émolument de formalités, censé couvrir les frais des démarches administratives, ce barème officiel, donc, serait «un gage d'égalité des citoyens». Une égalité chère payée. Selon la comparaison internationale publiée en décembre 2007 par la Commission européenne, les honoraires perçus dans l'Hexagone en matière de transactions immobilières se situaient à l'époque parmi les plus élevés d'Europe : 2 949 € pour un bien de 250 000 € et 5 493 € pour un bien de 500 000 €, ce qui, sur les 20 pays étudiés, situait les notaires français au 4e et au 2e rang des intermédiaires les plus gourmands. Et encore, c'était avant la nouvelle hausse des tarifs décidée par décret en février 2011 ! La facture pour l'établissement d'un Pacs ou la mise en conformité d'un règlement de copropriété est ainsi passée de 218,27 € à 233 € (+ 6,7 %). Mais le vrai scandale, c'est qu'il en coûte désormais 82,50 € de plus, hors TVA, pour l'achat d'un bien supérieur à 60 000 €. Tout bénéfice quand le marché - et ceux qui alimentent en statistiques les suppléments immobilier des gazettes, à savoir... les notaires – tire depuis des années les prix à la hausse. 

On aurait pu croire que la nouvelle garde des Sceaux, soucieuse d'équité et de justice sociale, se déciderait enfin à mettre un coup de pied dans la fourmilière. Erreur : comme Rachida Dati, Michèle Alliot-Marie ou Michel Mercier avant elle, Christiane Taubira a préféré célébrer «la grandeur, la hauteur, la noblesse» de la mission qui incombe aux notaires lors de leur 108e congrès en septembre dernier, à Montpellier. Une «noblesse» qui viendrait notamment de l'obligation qui leur est faite d'instrumenter, c'est-à-dire de prêter assistance au citoyen qui la réclame, et ce, y compris, a cru bon d'ajouter la ministre, «lorsque les actes paraissent faiblement rémunérés». Pourquoi nos dirigeants, toutes étiquettes confondues, manifestent-ils autant de mansuétude à l'égard d'une profession aussi peu menacée par la crise et les fins de mois difficiles ? Vincent Le Coq, notre empêcheur d'hypothéquer en rond, a sa petite idée sur la question. «Les notaires ont toujours rendu d'éminents services aux politiques, explique-t-il à MarianneAinsi, ils ne leur posent jamais de questions quand il s'agit d'avaliser de juteuses, et parfois contestables, opérations immobilières pour le compte de la commune, du département ou de la région. Quand ce n'est pas pour un proche ou pour eux-mêmes...» 


CE QU'IL FAUDRAIT:

Déréglementer les tarifs des notaires et ouvrir la profession à la concurrence, comme le demande avec insistance la Commission européenne. 

Ceux qui continuent à se goinfrer sous la gauche


Quand elle était dans l'opposition, la gauche accusait Nicolas Sarkozy d'être le "président des riches". Au pouvoir, que fait-elle pour corriger les excès des profiteurs d'en haut et limiter la gloutonnerie de certaines professions ? Pas grand-chose, hélas ! Enquête sur ceux que ni la crise ni le gouvernement n'empêchent de dormir.


GILE MICHEL/SIPA
GILE MICHEL/SIPA
Ce fut l'un des thèmes fétiches du sarkozysme finissant : traquer les accros aux allocations chômage, les abuseurs de RSA, les biberonnés aux arrêts de travail, à la carte Vitale, à la CMU... Ces légions fantasmées de prébendiers brandis comme des épouvantails par un régime en fin de règne pour masquer sa propre incapacité à endiguer la montée du chômage et à colmater les trous béants ouverts par la crise dans le portefeuille des ménages. Dans ce concert d'outrances verbales, Laurent Wauquiez, pas encore porte-voix d'une motion UMP portée par La Droite sociale et qui prône, dans un magnifique oxymore, l'exact contraire de son intitulé, s'emporta contre «le cancer de l'assistanat». Son plagiaire de La Droite forte, Guillaume Peltier, jamais avare d'une surenchère, propose, lui, de «supprimer à vie les allocations pour tout fraudeur récidiviste». 

Leurs deux motions sont arrivées en tête du dernier vote des militants UMP. On l'a peu relevé, tellement la bouffonnerie Copé-Fillon occupait les esprits. Mais c'est un fait : pour près de la moitié des cadres du principal parti d'opposition, les «profiteurs d'en bas» sont une menace majeure qu'il convient par tous les moyens d'éradiquer. Et ceux d'en haut, qui tous ont largement bénéficié de la mansuétude de l'ancienne majorité, si ce n'est de sa connivence, pour gonfler leur compte en banque déjà replet, qui s'en préoccupe ? Peu de monde à gauche. Encore moins au gouvernement. 

Qu'est-il advenu de la volonté affichée du candidat François Hollande d'opérer une«redistribution en faveur des salariés et des familles au détriment des plus hauts revenus et des fortunes les plus importantes» ? Pas grand-chose. La chasse aux sorcières, façon UMP, n'honore pas ceux qui la pratiquent. Mais de là à rester inerte face à des rentes de situation pour lesquelles les mêmes qui sont aujourd'hui aux manettes criaient naguère au scandale, il y a tout de même un fossé... Ces atermoiements à corriger les excès manifestes de professions ou de castes, dont Marianne vous propose cette semaine quelques exemples édifiants, sont d'autant plus inquiétants qu'ils s'accompagnent d'un fatalisme déjà résigné... après huit mois seulement d'exercice du pouvoir. 

Les péages, dont les prix poussent chaque année comme du chiendent sur le bas-côté et qui enrichissent toujours plus les concessionnaires privés ? «On ne peut rien faire», balaye Frédéric Cuvillier, le ministre des Transports. Et l'on s'étonne après que Cofiroute ose franchir la barre symbolique du 1 € le kilomètre - tarif pratiqué les vendredis et veilles de jours fériés pour les non-abonnés - dans son tunnel reliant Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) à Vélizy (Yvelines). 

Les bonus des grands patrons du privé ? «Depuis 2002, les dirigeants du CAC 40 ont vu leurs salaires augmenter de 400 % quand les salaires du secteur privé n'ont augmenté en moyenne que de 3,5 %. De tels écarts de rémunération sont aussi injustifiables qu'intolérables», affirmait le projet socialiste 2012, censé servir de «boîte à outils» au candidat Hollande. De boîte noire, plutôt : avec l'arrivée de la gauche aux responsabilités, le sujet a brusquement disparu de l'agenda. Tout juste Pierre Moscovici, le ministre de l'Economie, promet-il du bout des lèvres «vouloir encourager les entreprises à améliorer leurs codes de bonne conduite». 

Banquiers, notaires, autoroutiers etc. 

La parade, professe-t-on dans son entourage, ne peut venir que du renforcement de la fiscalité sur les plus hauts revenus. D'où la création d'un nouveau barème d'imposition à 45 % - contre 41 % auparavant - pour la tranche supérieure à 150 000 € par mois. Et d'une «contribution exceptionnelle de solidarité» à 75 % pour la tranche supérieure à 1 million d'euros. «La première mesure n'enthousiasme pas mes clients, mais elle n'est pas insupportable au point de les décider à quitter la France, explique un avocat parisien en vue, spécialisé dans les questions fiscales. La seconde posait plus problème. On sait comment elle a fini...»Rembarrée par le Conseil constitutionnel pendant la trêve des confiseurs ! Vu l'importance symbolique de cette «supertaxe» dans le succès électoral de François Hollande, on se disait benoîtement que le gouvernement avait un plan B. En fait, non... 

Par un communiqué plan-plan, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s'est contenté d'annoncer un «dispositif nouveau» dans le cadre de la prochaine loi de finances. Un an de gagné pour les très riches, et 300 millions d'euros en moins - au bas mot - dans les caisses de l'Etat. Brillant. 

En ne maniant que le bâton fiscal pour réduire la carotte des contribuables les plus aisés, l'exécutif privilégierait, nous dit-on, l'efficacité. Mais au prix d'inextricables contorsions. Et, plus inquiétant encore, d'un silence radio général sur les questions de fond que posent certaines corporations. Pourquoi les notaires, dont le statut ultraprotégé est jugé contraire au principe de la libre concurrence par un arrêt de mai 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne, continuent-ils de bénéficier du soutien inconditionnel du ministère de la Justice ?

>> Lire : Notaire, on ne change pas une profession qui gagne autant 

En septembre dernier, Christiane Taubira, la garde des Sceaux, a pris le chemin du Sud - vers Montpellier, pas Canossa - pour tenir un discours tout sucre, tout miel au 108e congrès du notariat et affirmer «la détermination du gouvernement [...] à préserver la profession de notaire», parce qu'elle est «d'une autorité particulière et d'une indiscutable nécessité».Tellement nécessaire que la plus haute autorité judiciaire de l'Europe, et avant elle une batterie de rapports officiels franco-français, réclame l'abolition de ses privilèges hérités de l'Ancien Régime... 

Les banquiers, dont les acrobaties sans filet ont largement contribué à plonger les économies européennes dans la récession, n'ont pas non plus de mouron à se faire : leurs bénéfices, qui se chiffrent en milliards d'euros, affichent de beaux niveaux, de même que leur cours de Bourse (lire ci-contre). Quant au projet de loi présenté par Pierre Moscovici, il préserve l'essentiel de leur sacro-saint modèle de «banque universelle», une spécificité française qui fait cohabiter sous le même toit le Livret A de M. Tout-le-Monde et le trading à haute fréquence - des transactions à la microseconde - sur les marchés des matières premières. «Les dirigeants de ces banques passent leur temps à dire qu'il y a des barrières étanches entre les dépôts des clients et les activités d'investissement. Eh bien, s'il y a des barrières aussi étanches que cela, cela veut dire que l'on peut facilement scinder les banques», notait récemment Bernard Esambert sur l'excellent blog lescrises.fr

Ce faux ingénu n'est pas n'importe qui : conseiller de Georges Pompidou à Matignon puis à l'Elysée, il a ensuite présidé de 1977 à 1993 la Compagnie financière Edmond de Rothschild. Difficile, donc, de considérer cet ancien banquier, promu grand officier de la Légion d'honneur sous Sarkozy, comme un dangereux gauchiste... «Je ne vois pas de raisons, poursuit notre homme, de faire prendre des risques à chaque catégorie visée par la banque universelle sur des opérations qui ne la concernent absolument pas et qui peuvent créer des désordres importants. On n'a pas été loin en 2008 et en 2009 de voir des queues s'installer devant les banques. Ce sont des spectacles que l'on ne veut pas revoir, que l'on a connus en 1929, et pour les éviter définitivement, il faut séparer, encore une fois, ces deux catégories.»Du bon sens. Qui n'a pas eu l'heur d'inspirer les services de Pierre Moscovici... 

Un avenir rose... pour certains 

Certes, la messe n'est pas tout à fait dite et les parlementaires, saisis du texte, vont pouvoir apporter leur contribution dans les jours qui viennent. L'UFC-Que choisir les presse déjà de renforcer les droits des consommateurs en matière de frais bancaires, une jungle à peine éclaircie par les précédentes réformes de la droite et dont le gouvernement ne dit rien, ou si peu. L'économiste Gaël Giraud, plutôt classé à gauche, chercheur au CNRS et à l'Ecole d'économie de Paris, déplore lui, dans une note critique qui fait hurler à Bercy, que «le projet de loi français ne résout aucun des problèmes» et que la France, «en légiférant la première, risque de préempter le débat européen». On souhaite bon courage aux députés et sénateurs socialistes... D'autant, et c'est un signe, que leurs collègues de l'UMP ne semblent pas franchement remontés contre ce texte, préférant réserver leurs diatribes au mariage pour tous ou au logement social. 

Concessionnaires autoroutiers, notaires, banquiers, mais aussi liquidateurs et administrateurs judiciaires, promoteurs immobiliers ou rentiers de tout poil. Des «profiteurs» qui voient leur avenir en rose. La couleur, pas l'emblème faussement menaçant du PS. Quand Nicolas Sarkozy stigmatisait ceux qui «volent la Sécu» et qui trahissaient à ses yeux «la confiance des Français», toute la gauche faisait bloc contre ces propos. Quand François Hollande entend mettre au pas la finance, la droite se dit prête à lui apporter son soutien. Il y a comme un hic, non ? 
  

Article publié dans le magazine Marianne (823), du 26 janvier au 1er février