vendredi 14 décembre 2012

Pour Attali et Barbier, les ouvriers de Florange sont des veinards


(POL EMILE/SIPA)
(POL EMILE/SIPA)
Il faut remercier Christophe Barbier et Jacques Attali, les duettistes de L’Express. Ils ont osé écrire ce que personne, jusqu’ici, n’avait osé dire, à savoir que les 630 ouvriers de Florange touchés par la fermeture des hauts fourneaux sont de fausses victimes, des petits veinards bien mieux lotis que les vrais chômeurs, bref une bande de privilégiés en salopette qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir.     

Pour Attali et Barbier, les ouvriers de Florange sont des veinards
Dans son éditorial de début de journal, Christophe Barbier, directeur de L’Express, dénonce la « Zolattitude », fustige la « nostalgie geignarde du "Florange-show" », explique qu’il ne faut pas « se tromper de combat ni glorifier des héros d’arrière-garde » (on aimerait savoir qui sont les héros d’avant garde – à part lui, évidemment). « Les 600 postes de Florange ne sont pas une priorité », décrète-t-il, car il s’agit d’ « emplois hérités du XIXème siècle et dont les titulaires sont protégés par un efficace filet social ».

Pour Attali et Barbier, les ouvriers de Florange sont des veinards

Les grands esprits ayant vocation innée à se rencontrer, Jacques Attali reprend l’antienne dans sa chronique de fin de journal. 

Non sans courage, il s’en prend à « des salariés qui, pour la plupart d’entre eux, comme c’est le cas à Florange, ne risquent pas le chômage et sont déjà payés, depuis longtemps, pour entretenir un outil de travail dont chacun sait qu’il ne redémarrera jamais ».

« Le privilège des grands, c’est de voir les catastrophes d’une terrasse », disait Jean Giraudoux. Barbier et Attali les voient de leurs bureaux parisiens, d’où il est de bon ton de considérer la sidérurgie lorraine comme un « canard boiteux » (pour reprendre la formule de Jean-Pierre Jouyet, grand ami du Président de la République, promu à la direction de la Caisse des Dépôts et Consignations) alors que l’on y produit des aciers hauts de gamme.  

Des bureaux parisiens de L’Express, il est également loisible de se moquer de ces ouvriers qui n’ont pas à se plaindre puisqu’il y a pire situation que la leur et qu’ils pourraient être envoyés à Pôle Emploi, par exemple. D’ailleurs, au sein de l’élite, tout le monde rêve d’avoir un enfant ouvrier sidérurgiste pour que sa carrière soit comme un long fleuve tranquille. 

Alors, de quoi se plaignent-ils, ces prolos « payés » à des salaires qui doivent correspondre à l’argent de proche hebdomadaire de ces cumulards de l’oligarchie médiatique que sont Christophe Barbier et Jacques Attali ? 

Il y a quelques jours disparaissait Michel Naudy, ancien journaliste à  France 3, où il passa l’essentiel de sa carrière dans un placard, en raison de ses idées iconoclastes. Michel Naudy, qui s’est suicidé, avait témoigné dans le film « Les chiens de garde », film tiré du livre éponyme de Serge Halimi, directeur du Monde Diplomatique.   

Voici ce qu’il disait du regard des membres de l’élite mediatico-politique sur le monde du travail : « A leurs yeux, les classes populaires sont une réserve d’indiens. Ils ne les connaissent pas ; ils ne viennent pas de ces milieux ; ils n’en connaissent pas les codes ; ils n’en connaissent pas les préoccupations ; ils n’en connaissent pas les conditions de vie ; ils n’en connaissent pas la culture ; ils n’en connaissent pas les traditions. Dès l’instant que ces gens sortent de leur rôle, celui de gens pittoresques identifiables à des poncifs idéologiques, ils deviennent dangereux » (on peut revoir cet extrait sur le site www.acrimed.org  en cliquant ici  ). 

Et quand des gens sont jugés dangereux, on peut tout se permettre. La preuve.   

A ceux qui se sentiraient indisposés par les propos du consortium idéologique Barbier/Attali, on ne saurait que conseiller le détour audio par un coffret audio/video relatant l’aventure hors norme d’une radio qui s’appelait « Lorraine Cœur d’Acier », de mai 1979 à juin 1980. En pleine crise de la sidérurgie (déjà), la CGT créa cette antenne animée par le journaliste Marcel Trillat. 

Un an durant, LCA fut la voix des sans voix, un forum de paroles authentiques où personne ne méprisait personne, un lieu de témoignages bouleversants sur la condition ouvrière, avec notamment des paroles féminines d’une rare authenticité. Le ton de « LCA » était libre, absolument libre, visiblement trop puisque la CGT ferma la radio. Et pourtant, c’est ce même syndicat qui prend aujourd’hui l’initiative de diffuser ce CD (1). 

Voilà un beau cadeau de Noël pour Jacques Attali et Christophe Barbier, afin qu’ils puissent découvrir un monde qui leur est aussi étranger que l’était l’Amérique pour Christophe Colomb – lequel avait au moins l’excuse de l’éloignement géographique. 

(1) « Un morceau de chiffon rouge. Mars 1970-Juin 1980. Lorraine Cœur d’Acier. L’aventure inédite d’une radio ». Documentaire radiophonique de Pierre Barron, Raphaël Mouterde, et Frédéric Rouziès. 5 CD plus un DVD d’Alban Poirier et Jean Serres. Editions de la vie ouvrière Case 600 – 263 rue de Paris 93516 Montreuil cedex, 29,9€. 

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