samedi 24 novembre 2012

Chine-USA, le duel

Xi Jinping et Barack Obama (Susan Walsh/AP/SIPA)
Qu'est-ce que le G20 ? C'est le G2 (Chine et Etats-Unis) plus zéro. » Cette boutade d'un universitaire chinois m'a remis en mémoire une autre, du temps de la guerre froide. En mai 1967, en pleine crise qui devait déboucher sur la guerre des Six-Jours, un président Johnson exaspéré par la demande répétée du général de Gaulle d'une concertation «à quatre» a grommelé : «Les quatre grands ? Qui diable sont les deux autres ?»Le rapprochement est révélateur. Un couple de géants se fait toujours face : les Etats-Unis sont toujours là, Gulliver empêtré, mais Gulliver tout de même ; seul leur adversaire/partenaire a changé, et le terrain de leur affrontement. Dans le premier cas de figure, c'était le monde, avec l'Europe comme épicentre. Aujourd'hui, c'est le Pacifique. 

A lire l'excellent essai d'Alain Frachon et Daniel Vernet - La Chine contre l'Amérique. Le duel du siècle* -, on voit bien ce que ce parallèle a de vrai et de trompeur. Les Etats-Unis n'avaient pas choisi l'Union soviétique pour adversaire, elle s'était imposée à eux. Leur affrontement était total, et de nature idéologique. Avec Pékin, c'est bien plus compliqué. Ici, l'idéologie remplit un rôle secondaire. D'ailleurs, les Américains ont favorisé l'émergence de la Chine comme acteur économique global, au début en soutenant les réformes de Deng Xiaoping, ensuite en favorisant la délocalisation de leurs industries et l'ouverture du marché américain aux produits chinois. Il s'agissait de faire pièce à Moscou, puis, une fois l'empire soviétique liquidé, d'encourager l'évolution de Pékin en un partenaire fiable. Le développement économique devait nécessairement s'accompagner de la démocratisation du régime, tout comme l'intégration au système d'échanges mondial de la Chine, admise dès 2001 à l'Organisation mondiale du commerce, était censée lui imposer le respect des règles du libre-échange. 

Un marché de dupes ? Le pari sur la démocratisation de la Chine a été pour l'instant perdu, tout comme celui d'un partenariat commercial acceptable pour Washington. Cela peut changer, et les experts des deux bords en débattent jusqu'à plus soif. En attendant que l'évolution, imprévisible, de l'empire du Milieu vide leur querelle, les deux géants se tiennent par la gorge, l'un enfoncé jusqu'aux oreilles dans une dette abyssale à l'endroit de l'autre, celui-ci condamné à soutenir le premier sous peine de sombrer avec lui. Le problème avec ce genre inédit d'équilibre de la terreur économique est qu'il risque de se révéler encore plus instable que le premier, celui de la terreur nucléaire. Partenaires commerciaux, fût-ce dans un pas de deux malaisé, Washington et Pékin sont des adversaires stratégiques dans une région que tous deux considèrent leur chasse gardée. Incapable de défier ailleurs les Etats-Unis, unique puissance militaire globale, la Chine, enserrée de toutes parts par des alliés des Américains, se sent désormais assez puissante pour menacer leurs intérêts dans le Pacifique. 

A défaut de valeurs partagées, il s'agit donc d'«organiser le face-à-face». Avec une Amérique faible et divisée et une Chine qui ne sait pas comment résoudre la formidable contradiction entre un développement économique anarchique et un régime autoritaire qui gère comme il peut les conséquences sociales de son propre succès, ce n'est pas gagné. 

Et l'Europe dans tout cela ? Lors du troisième débat entre Obama et Romney, consacré aux affaires internationales, ce vocable n'a simplement pas passé leurs lèvres. En conclusion de leur livre, Frachon et Vernet expliquent pourquoi. C'est une lecture cruelle - et utile. 

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