mardi 23 octobre 2012

Copé, NKM et les autres, revanchards et dangereux


Oubliant déjà pourquoi ils ont perdu, les boutefeux de la droite vilipendent l'abaissement de la «France de gauche» tout en faisant le lit de discours de plus en plus extrêmes...


Nathalie Kociusko-Morizet, Jean-François Copé et Nadine Morano au meeting des amis de Sarkozy, le 25 août 2012 -  BRUNO BEBERT/SIPA
Nathalie Kociusko-Morizet, Jean-François Copé et Nadine Morano au meeting des amis de Sarkozy, le 25 août 2012 - BRUNO BEBERT/SIPA
Elles pourraient faire sourire, ces leçons quotidiennes de bonne gestion domestique distribuées par une droite de faillite et en faillite. Après tout, il est cocasse de voir ceux qui ont creusé le déficit budgétaire donner des leçons d'économie. Et ils n'y sont pas allés avec le dos de la pelle puisqu'ils ont fait pis que l'ensemble de leurs prédécesseurs. Ce qui motive sans doute les chefs de la droite à parader et à infliger matin, midi et soir des critiques radicales au nouveau pouvoir. C'est aussi piquant que lorsque les péripatéticiennes prennent la tête des ligues de vertu et prétendent imposer une rigoriste tempérance jamais mise en pratique. 

On pourrait donc se distraire de cette conversion de circonstance si l'opposition, par ses surenchères incessantes, et dans tous les domaines, n'aggravait une crise qui est beaucoup plus qu'économique : psychologique, culturelle et politique. Pendant que le pays brûle d'angoisse, mais aussi de chômage et de détresse, l'opposition joue les boutefeux. 

Que l'opposition s'oppose, certes, quoi de plus classique ? François Mitterrand, que la droite adore citer maintenant qu'il est mort, avait claironné une fois pour toutes : «Il n'y a d'opposition qu'inconditionnelle.» L'ancien adversaire implacable de Charles de Gaulle prétendait alors combattre sans précaution «un pouvoir absolu», qu'il ne servait à rien de prétendre «retoucher ou aménager». Jamais les gaullistes n'avaient accepté cette assimilation du gaullisme à l'absolutisme, et encore moins cette radicalité oppositionnelle qui faisait fi des intérêts de la nation. Et voilà que les descendants du Général, lointains il faut en convenir, adoptent une semblable attitude obtuse qu'ils dénonçaient encore lorsque le PS, pourtant bien timide, y avait recours sous Sarkozy. 

On entendait alors des appels vibrants à l'union nationale du président comme de son Premier ministre, François Fillon, qui affirmaient souhaiter une «attitude plus responsable de l'opposition de gauche». Or, maintenant qu'ils ont perdu le pouvoir, les mêmes se montrent autrement plus opposants que les opposants si longtemps d'une discrétion de rose sans piquants et prennent d'assaut leurs successeurs comme s'il s'agissait d'usurpateurs. 

Sans doute le feu qui gagne prend-il là : la droite tient la gauche pour illégitime ! On dira que ce n'est pas nouveau. Jacques Chirac, alors maire de Paris et président du RPR, avait, après 1981, instruit contre le président Mitterrand un procès en illégitimité qui fit grand bruit. Le camp conservateur avait eu beaucoup de mal à accepter la première alternance de la Ve République et considérait que le pouvoir lui appartenait de droit divin. 

Cette fois, seule Maryse Joissains, maire UMP d'Aix-en-Provence, s'est publiquement permis de déclarer «illégitime» l'élection de François Hollande. Mais, si le mot lui-même n'est pas employé par les leaders, les périphrases qu'ils emploient révèlent la même contestation du fondement de l'autorité présidentielle : le nouveau monarque républicain n'est, pour eux, qu'un bâtard qui n'a qu'une demi-fesse sur le trône. 

Chacun emploie une expression différente, mais toutes concluent à ce même défaut de légitimité. Pour Jean-François Copé, le plus net, le plus caricatural, François Hollande est«une imposture». Parfois, le secrétaire général de l'UMP ajoute, pour faire bon poids, «une double imposture». L'essentiel, c'est la «tromperie» hollandaise qui seule aurait permis la victoire. 

L'ex-ministre Bruno Le Maire invoque, lui, «un immense malentendu», et Nathalie Kosciusko-Morizet, «le fruit du hasard». Impossible d'accepter l'idée qu'Hollande ait pu l'emporter pour des raisons de fond - et notamment de rejet du sarkozysme. Il n'est qu'un accident passager de l'histoire, qui sera balayé comme fétu de paille. François Fillon le souligne lui aussi : «Il n'a été élu que par défaut, avec le soutien de l'extrême gauche et la complicité de l'extrême droite.»Mai 2012 n'aura été que le résultat d'une conjonction incertaine. 

Certains vont jusqu'à refaire encore et encore les calculs. «Si l'on compte les votes blancs et les nuls, Hollande n'a pas obtenu 50 %», certifient ces experts-comptables, qui n'avaient jamais procédé à de tels recomptages quand Chirac, par exemple, avait été élu en 1995 sans pour autant obtenir une majorité des voix. Des mécomptes ridicules? Sans aucun doute, mais qui expriment crûment les arrière-pensées d'une droite qui ne s'est pas résolue à son échec ! D'ailleurs, Sarkozy a gagné ! «S'il y avait eu quinze jours de plus, c'était plié», martèlent-ils avec de furieuses étincelles dans les yeux ! Sauf qu'il a été défait, mais c'est un constat auquel ils ne veulent pas se résoudre. Jamais des battus ne se seront montrés aussi morgueux. Les giscardiens, après 1981, étaient effondrés ; les socialistes, après la déroute de Jospin, étaient à la rue ! Les sarkozystes, eux, marchent au milieu de la chaussée en criant à tue-tête comme s'ils l'avaient emporté ! 

DROIT D'INVENTAIRE CONFISQUÉ

Il faut lire le petit livre de Jean-François Copé, Manifeste pour une droite décomplexée(Fayard) et plus précisément son «retour sur une campagne hors du commun». Certes, il y a bien eu la «défaite», il ose employer le mot, mais c'est pour mieux la mettre sur le dos (large !) du «front médiatique anti-Sarkozy» formé par... Marianne et... l'Humanité. Puis Copé invoque la crise et le Front national. Fermez le ban. Des insuffisances ? Copé, qui tente de se décomplexer, va jusqu'à regretter de ne «pas avoir été assez loin» sur la réforme territoriale, sur celle du marché du travail et sur l'immigration. Trois pages d'examen de conscience sur 203 de dissertation tricolore : «Ah, qu'ils étaient émouvants, nos meetings, avec tous ces drapeaux»... 

Tous ceux qui prétendraient se livrer à un droit d'inventaire plus poussé, comme l'avait esquissé l'ancienne ministre Roselyne Bachelot, sont accusés de vouloir se faire «de l'argent ou de la notoriété sur le dos de Sarkozy» ! 

Et voilà pourquoi votre fille est muette, ou inconsidérément bavarde et agressive, à l'image pathétique de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui fut bobo écolo anti-FN avant de devenir porte-parole du candidat extrême-droitisant Sarkozy, puis candidate aux législatives anti-FN et qui, enfin, s'est travestie en pamphlétaire vile dans une tribune du Figaro. Non pas qu'elle manquât de talent, mais NKM visait bas, ce qui mérite qu'on s'y arrête, car elle était un espoir de la politique, croyait-on, qui prétendait haut ! 

La vilenie tenait d'abord à ce qu'elle s'en soit pris au physique, elle qui a toujours abhorré à juste titre les attaques personnelles. Quand elle stigmatise «ces bourgeois de la politique, qui se sont déguisés, bedaines effacées, sourires patelins», c'est bien «François Hollande, le président amateur» (titre de sa tribune) qu'elle attaque et qu'elle roule dans la fange, en l'accusant de «vouloir mettre l'Etat en coupe réglée et se servir...» Aucune preuve. Rien que de la rimaille comme on mitraille contre «des arrogants, des menteurs, des tricheurs [...], un ministre du Budget méprisant. Un ministre de l'Industrie vociférant. Un ministre de l'Economie absent». On ne s'élève pas en rabaissant. Même si «amateur» rime riche avec«tricheur». Mais, si les meilleurs esprits de la droite se laissent aller ainsi à prendre la pente de la facilité, c'est qu'il y a quelque chose de pourri au sein de cette droite. 

Mais il serait inexact d'écrire que l'opposition est lobotomisée. Elle ne l'est que partiellement. Sa partie de cerveau qui imagine encore fonctionner a un nom : Patrick Buisson. 

Ce papiste fondamentaliste venu de l'extrême droite chrétienne antigaulliste aura au moins réussi un miracle : devenir la tête pensante des descendants (bien bas) de ce de Gaulle de qui ses compagnons pro-OAS Algérie française d'hier ourdissaient l'assassinat. Buisson, lui, n'aura pas eu besoin de tirer un seul coup de fusil ; il lui a suffi de leur faire accroire qu'il possédait la martingale populaire gagnante pour l'emporter comme en 2007, en vampirisant l'extrême-droite. Ils ont perdu cette fois en renforçant le Front national, mais l'inspirateur de la stratégie extrême-droitière perdante est toujours là. 

RETOUR DU PATHOS «BUISSONIER»

Patrick Buisson est pourtant plus que jamais là. La jeune génération comme l'ancienne, Sarkozy le premier, se bousculent pour le consulter comme si l'oracle n'était pas une baudruche. La défaite l'a même regonflé de ses certitudes impavides que Jean-François Copé décline en imaginant pouvoir emporter ainsi les suffrages des militants pour la présidence de l'UMP. 

>> Lire aussi notre enquête :  Patrick Buisson est partout 

C'est la surenchère dans la dénonciation de l'assistanat, la stigmatisation du «racisme antiblanc», la revendication d'une sécurité idéologique, c'est-à-dire qui soit la défense de la France catholique des 45 000 clochers - sous les rois, on en comptait 100 000 ! -, la mobilisation contre les valeurs inassimilables de l'islam qui porterait le terrorisme comme les nuées l'orage, l'identité nationale enfin conçue comme un repli sur un passé glorieux alors que la France n'a jamais été grande que lorsqu'elle portait un message de fraternité ! 

Tout ce pathos «buissonier» qui, autrefois, n'alimentait que les journaux d'extrême droite, ce galimatias tient lieu non seulement de colonne vertébrale idéologique pour Jean-François Copé, mais aussi pour une partie de la droite vindicative qui se presse derrière François Fillon.

Tous ces revanchards sont prêts à passer au plan local une alliance avec le FN qu'ils refusent encore au niveau national, mais qu'ils ont déjà scellée dans leurs têtes. Seule l'Europe encore les sépare ! Mais dans les meetings aucun dirigeant de l'UMP n'ose dire haut et fort, tel Chirac autrefois, qu'entre «le FN et [eux] il y a la France». Aujourd'hui, c'est l'abaissement de la«France de gauche» qui est vilipendé et «l'on attise le feu», comme le dit le centriste François Bayrou, comme s'en indigne le gaulliste François Baroin, alors que le pays brûle. 

Le pompon revient au pompier pyromane Copé. Qui pourra jamais croire que le chef de l'UMP nous avait été présenté autrefois par un restaurateur de renom et un humaniste passionné, le regretté Paul Benmussa, qui refusait de recevoir Le Pen dans son établissement, Chez Edgard, en précisant : «Un homme qui n'aime pas la peinture de Chagall n'aimera pas ma cuisine» ? Oui, qui pourrait le croire ?

CHRISTIAN JACOB, MOINS DE TALENT, ON N'A JAMAIS VU 

C'est à n'y pas croire : hier, les chefs des groupes parlementaires, porte-parole de leur tendance lors des grands débats, s'appelaient Jaurès, Clemenceau, Jules Ferry, Gambetta. Plus tard Poincaré, Barrès, Léon Blum, Herriot. Plus tard encore Mendès France, Georges Bidault, François Mitterrand, Michel Debré. Presque tous étaient choisis parmi les meilleurs orateurs et les esprits les mieux faits. 

Or, aujourd'hui, l'un des principaux porte-parole, orateur vedette donc, de la droite UMP s'appelle Christian Jacob. Il n'y a aucune chance que ce nom-là laisse une trace dans l'histoire. Stupéfiante régression. Vertigineuse dégringolade. 

Le cas Christian Jacob est presque un cas d'école. Le député de Provins, qui a remplacé dans sa ville un personnage de qualité, Alain Peyrefitte, est en effet considéré comme... limité. Les journalistes s'en gaussent, mais n'osent pas le dire. Les politiques de droite s'en lamentent, mais ils l'ont majoritairement élu. Pourquoi ? Omerta ! 

Or de quoi s'agit-il ? De l'image que donne d'elle la droite à travers ceux censés incarner sa philosophie et son discours. 

Quand la droite parle - et il y a parmi elle nombre de personnages de valeur et de talent -, c'est Christian Jacob qui parle en son nom et à sa place, et qui, à un public stupéfait, n'en offre qu'une caricature. 

Cette décrépitude peut faire sourire. Elle est grave. D'abord parce qu'elle déconsidère la vie politique. Ensuite parce que, en comparaison, elle fait passer Marine Le Pen pour un mélange de George Sand et de Mme de Staël.

Article paru dans le n°808 de Marianne daté du 13 octobre 2012.

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