samedi 18 juin 2011

Un monde sans Wall Street?


Les marchés financiers ont beau déclencher des crises à répétition, peu d’experts et encore moins de gouvernants osent imaginer un monde sans la liberté et sans le pouvoir de ces marchés, un monde « sans Wall Street » ! Pourtant, comme l’explique ici l’un des meilleurs experts français des systèmes financiers, c’est le pas décisif qu’il faut franchir au plus vite pour éviter une nouvelle catastrophe. L’auteur pose d’abord un diagnostic précis sur les impasses d’un monde « avec Wall Street » : les normes exorbitantes de rentabilité imposées par les gestionnaires de capitaux entrainent tout à la fois, la déshumanisation des conditions de travail, le saccage des écosystèmes et la soumission des politiques publiques à des intérêts privés plutôt qu’à la volonté des citoyens. Mais peut-on, dans un monde ouvert, se passer de la puissance des marchés financiers ? Oui, car du fait même de leur puissance, ces marchés ne servent plus à financer l’économie réelle et pénalisent même celle-ci au profit des jeux purement financiers spéculatifs. Toutefois, pour se passer des instruments de spéculation sur les taux d’intérêt ou les taux de change, il faut reconstruire un système monétaire international qui permette de gérer la monnaie comme un bien commun de l’humanité. Et pour échapper au pouvoir exorbitant des gestionnaires de capitaux, il faudra reformer le droit des sociétés pour partager le pouvoir de gestion entre tous les acteurs prenant part à la production.
François Morin, professeur émérite de sciences économiques à l’Université de Toulouse I, a été membre du Conseil Général de la Banque de France et du Conseil d’Analyse Economique. Il a notamment publié Le Nouveau mur de l’argent : essai sur la finance globalisée (Seuil, 2006).

François Morin, né en 1945, est professeur de sciences économiques à l'Université Toulouse I. Il a été membre du Conseil général de la Banque de France et du Conseil d'analyse économique.

Interviewé par un journaliste Belge:   Dominique Berns:

Pour l’économiste François Morin, la prochaine crise s’annonce déjà. Selon lui, il n’est de solution que radicale.

François Morin : « Il faut fermer Wall Street »
C’est lui-même qui a choisi le titre de son essai : Un monde sans Wall Street ? (Seuil). Pas l’éditeur. François Morin, professeur émérite d’économie à l’Université de Toulouse-I, n’a pas eu besoin qu’on lui dicte une bonne idée marketing. Car il sait ce qu’il veut : un monde sans Wall Street – et on peut se demander pourquoi il a tout de même ajouté un point d’interrogation, tant son propos est clair.

Entretien.
Pour vous, la solution, c’est de supprimer Wall Street. Un peu radical, non ?
Il faut changer le système de financement de l’économie mondial. Wall Street – je veux dire par là : les grandes places financières – ne remplit plus sa fonction de financement des entreprises, de l’économie réelle. Depuis le milieu des années 90, les émissions nettes d’actions sont nulles, voire négatives dans la plupart des pays développés. En revanche, les crises financières se succèdent. Les marchés sont instables, notamment à cause de la spéculation sur les produits dérivés – une véritable folie ! Et l’Europe, face à une crise des dettes souveraines, est entrée dans un cycle infernal. En Grèce, l’Union et le FMI réclament désormais 50 milliards d’euros de privatisations d’ici à 2015, au lieu des 7 milliards sur trois ans initialement annoncés. Au Portugal, les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi élevés. Et je n’imagine même pas les conséquences qu’aurait un défaut sur la dette espagnole… Je suis habité par un sentiment d’urgence. Je sens venir de nouvelles catastrophes, auxquelles les États ne pourront plus répondre comme ils l’ont fait.
Cela ne vous suffit-il pas d’avoir connu la pire crise depuis la Grande Dépression ?
Entre 2007 et 2010, la dette publique mondiale a augmenté de 45 %. Et l’on sait pourquoi : parce que les États ont sauvé les banques et relancé les économies. Il serait tout de même temps de s’interroger sur les causes profondes de la crise financière, au lieu de se contenter de mettre en évidence « la prise de risque excessive » de la part d’un certain nombre d’acteurs financiers, dont il faudrait, nous dit-on, mieux encadrer les activités à l’avenir.
Vous privilégiez une explication « réelle », basée sur la déformation du partage de la valeur ajoutée en défaveur des salariés, qui a poussé les ménages à s’endetter de plus en plus ?
La montée des inégalités n’est qu’une conséquence intermédiaire ; elle est elle-même la conséquence de la libéralisation de la sphère financière dans les années 70 et 80. Au début des années 70, on a abandonné les parités fixes. Puis, au début des années 80, on a libéralisé les taux d’intérêt – c’est-à-dire qu’on a laissé « le marché » fixer cette autre variable économique fondamentale, qui, auparavant, était fixée par la puissance publique, par ce que l’on appelle les autorités monétaires : la Banque centrale et le ministère de l’Économie et des Finances.
Y a-t-il eu une seule crise financière entre la fin de la guerre et le début des années 70 ? Non. Les crises financières sont venues après cette folie qui a consisté à libéraliser les deux prix fondamentaux que sont les taux d’intérêt et les taux de change…
Cette libéralisation a provoqué le développement des produits dérivés et des innovations financières, car il était devenu nécessaire de se couvrir contre les variations des parités et des taux. Mais elle a aussi provoqué l’émergence de très grands investisseurs institutionnels, qui ont pu exiger des entreprises des taux de rentabilité faramineux, dont on a vu les effets catastrophiques sur le monde du travail.
Si je vous comprends bien, la crise actuelle est celle du capitalisme patrimonial basé sur l’impératif unique de « création de valeur pour l’actionnaire ». Exact ?
À condition de remonter à l’origine : la libéralisation de la sphère financière.
Mais enfin ! c’est vous, les économistes, qui nous avez assuré que la libéralisation nous apporterait le paradis sur terre – je veux dire : l’optimum économique ou l’allocation optimale des ressources.
Pour ma part, je n’ai jamais prôné la libéralisation de la finance.
Vous accusez en effet vos collègues et leur théorie néoclassique, la vision dominante au sein de la profession, qui est – je vous cite – « la version académique du néolibéralisme ». Beaucoup d’économistes ne seront pas d’accord sur ce point…
À partir du moment où vous avez dans la tête un modèle d’équilibre général des marchés qui représente un optimum social et que vous êtes persuadé que tout écart par rapport à cette situation est source d’inefficacités, vous ne pouvez même plus concevoir qu’il est des domaines, comme les services publics et la sphère financière, où l’État doit absolument intervenir.
C’est en effet d’autant plus étonnant que les économistes n’ont jamais démontré que la main invisible conduisait à l’optimum – ou alors en posant des hypothèses qu’on qualifie d’« héroïques », ce qui est un euphémisme…
On peut le dire ainsi. Mais vous me paraissez encore plus radical que moi.
La solution serait-elle donc de revenir aux changes fixes et aux taux d’intérêt administrés ?
Oui. Par étapes. Il faut, à l’échelle internationale, une « monnaie commune », comme disait Keynes. Son idée est fondamentale pour l’économie mondiale : il faut une organisation monétaire internationale qui offre aux acteurs de l’économie réelle de la visibilité. Or, dire cela, c’est tuer dans l’œuf la spéculation telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. Car quand on parle de monnaie, on parle en réalité de taux de change et de taux d’intérêt. Et dire qu’on veut aller vers une monnaie commune, c’est souhaiter forcément des taux de change fixes, mais ajustables.
Mais il faut aussi, écrivez-vous, un mécanisme qui permette de résorber les grands déséquilibres internationaux. Et, à nouveau, vous reprenez une idée de Keynes, qui avait été rejetée par les Etats-Unis lors de la conférence de Bretton Woods en 1944, à savoir : un mécanisme qui n’impose pas l’effort d’ajustement aux seuls pays enregistrant un déficit commercial, mais aussi à ceux qui sont en surplus. Mais ne pourrions-nous envisager de mettre cela en œuvre en Europe dès maintenant, au lieu d’exiger des seuls pays de la périphérie de la zone euro qu’ils « mettent leurs maisons en ordre » ?
Absolument. Cela, c’est la vraie formule de sortie de la crise de l’euro, dans laquelle on se précipite en ce moment.
Parlons de la France, vous soulignez que le Parti de gauche, de Jean-Luc Mélenchon, est le seul à avoir diagnostiqué la surpuissance de la finance libéralisée et mis en évidence les conséquences délétères de la valeur actionnariale. Pensez-vous pouvoir être entendu au PS ?
Fondamentalement, la question centrale est de savoir s’il suffit simplement d’imaginer des règles qui limitent les dégâts que provoque le fonctionnement de la sphère financière (à l’image de ce qui a été fait lors des quatre dernières réunions du G20) ; ou bien s’il faut rompre avec cette logique et – osons l’expression – chercher la confrontation avec la sphère financière. Car ce qui est véritablement en jeu aujourd’hui, c’est la maîtrise par les gouvernements du financement à long terme de l’économie.

Une réflexion de ma part:
Il est admis par tous que ce qui devient cher, attire moins les acquéreurs. Dans la  spéculation actuelle, c'est l'inverse qui se produit. plus ça prend de la valeur et plus ils en veulent. Où est le cercle vicieux?

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